Lors de sa dernière allocution devant les juges le 16 mai dernier, la procureure a justifié la peine en expliquant que Charles Taylor avait joué un rôle crucial dans les crimes d'une extrême gravité commis en Sierra Leone par les rebelles du RUF et leurs alliés militaires de l'AFRC. « C'est à Monrovia qu'a été préparée l'attaque sur Freetown de janvier 1999 et Charles Taylor a insisté pour que cette offensive soit effrayante », a martelé Brenda Hollis.
Si l'accusation a convaincu les juges que l'ex-président libérien a aidé et encouragé la campagne de terreur menée en Sierra Leone en fournissant notamment des armes, des moyens de communication, des conseils, de l'argent, contre des diamants, elle n'est pas arrivée à faire valoir que Charles Taylor était le donneur d'ordre. Mais en se fondant sur les précédentes peines prononcées par le tribunal, l'équipe de la procureure considère qu'une peine lourde et exemplaire doit être infligée à l'ancien président du Liberia. Issa Sesay, le dernier patron du RUF, avait par exemple été condamné à 52 ans d'emprisonnement.
Du côté de la défense de Charles Taylor, on estime qu'une telle peine serait disproportionnée. Lors de sa dernière intervention devant la cour il y a deux semaines, Courtenay Griffiths, le principal avocat de Charles Taylor, a mis en avant deux arguments pour que la peine de son client soit réduite. Premièrement, condamner un homme de 64 ans à 80 ans de prison équivaudrait à une condamnation à perpétuité, ce qui n'est pas prévu par les statuts du Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Second argument : Charles Taylor a davantage été un faiseur de paix qu'un fauteur de troubles. La preuve, selon ses avocats : en 2003, il a volontairement quitté le pouvoir pour mettre un terme à la guerre au Liberia.
Complot américain
Lors de sa dernière audience, Charles Taylor a pris la parole. D'une voix calme, il a expliqué qu'en tant qu'arrière-grand-père, il n'était pas une menace pour la société. Il a également affiché sa compassion pour les victimes de la guerre en Sierra Leone. Plus offensif, il a dénoncé une justice internationale sélective, il s'en est pris au bureau du procureur qu'il accuse d'avoir acheté des témoins et d'être le bras judiciaire de la diplomatie américaine. Pour lui, le grand responsable de ses malheurs est l'ancien président George Bush Jr : « Quand les Etats-Unis ont décidé d'un changement de régime au Liberia, le président Bush a signé deux ordres en mai 2001 dans lesquels sont écrits, et je cite : "la complicité entre le gouvernement du Liberia et le RUF dans le commerce illégal de diamants menace directement les objectifs de la diplomatie américaine dans la région ainsi que l'ordre international." La conspiration était née et voilà où je me trouve aujourd'hui. On ne m'a laissé aucune chance. »
Un procès historique au goût amer
Cette condamnation de Charles Taylor est considérée comme historique car pour la première fois depuis les procès de Nuremberg et la condamnation de l'amiral Karl Donitz, l'éphémère successeur d'Adolf Hitler, un ancien chef d'Etat a été reconnu coupable de crimes par la justice internationale. Pour toutes les organisations de défense des droits de l'homme, un message fort a été envoyé dans la lutte contre l'impunité. On peut imaginer aisément que dans certains palais présidentiels comme en Syrie, le sort réservé à Charles Taylor n'a pas laissé indifférent.
Seul point négatif : tous les présidents susceptibles d'être un jour poursuivis pour des crimes commis durant l'exercice de leur fonction pourraient désormais être tentés de s'accrocher à leur fauteuil dans l'espoir d'échapper à la justice internationale.
Dans le procès de Charles Taylor, on peut déplorer que les trois principaux responsables directs des crimes commis en Sierra Leone n'aient jamais été entendus. Foday Sankoh, le chef historique du RUF est mort en détention avant d'être jugé alors que Sam Bockarie, son chef militaire, et Johnny Paul Koroma, le leader de la junte militaire qui s'étaient alliés à la rébellion, ont très vraisemblablement été exécutés sur ordre de Charles Taylor.
On pouvait aussi espérer que l'ex-président libérien, qui s'estimait condamné par avance, ferait de grandes révélations sur ses liens présumés avec la CIA, la Côte d'Ivoire d'Houphouët-Boigny, le Burkina Faso de Blaise Compaoré ou la Libye de Mouammar Kadhafi. Mais il s'en est finalement tenu à une ligne de défense assez classique en s'estimant victime d'une conspiration américaine. Sera-t-il plus prolixe lors d'un très probable procès en appel ? On peut en douter.