L'abstention avait atteint le taux record de 64% en 2007, et rien n'indique qu'elle sera plus faible cette année. Le Parlement est souvent perçu comme une chambre d'enregistrement et bon nombre d'Algériens sont désabusés, à l’image d’Ahmed, qui a choisi de bouder les urnes aujourd’hui : « J’ai soixante-deux ans et j’ai voté trois fois dans ma vie. C’est une perte de temps. Nos élus n’ont pas changé depuis 1962. Ils viennent dans les quartiers quand ils sont en campagne et après on ne les voit plus pendant quatre ans ! On ne pourra pas les changer, pourtant il y a eu des tentatives. Il a eu le mouvement du 5 octobre 1988 dans les quartiers populaires, il y a eu le terrorisme et le FIS, mais il n’y a pas eu de changement. Ce sont les mêmes qui sont en place, et on ne pourra pas les changer, donc moi je ne vais pas voter aujourd’hui, j’ai prévu d’aller acheter des légumes au marché ! »
Ce sont surtout les jeunes qui gonflent les rangs des abstentionnistes. Ils comptent pour 75% de la population, 20% d'entre eux sont au chômage, le double de la moyenne nationale. Pourtant, une participation faible aujourd’hui serait un désaveu pour le pouvoir en place. Celui-ci a adopté de nombreuses réformes pour empêcher que la fièvre des printemps arabes ne gagne l’Algérie, comme l’explique Kamel Daoud, écrivain et chroniqueur au Quotidien d’Oran : « Une participation forte serait une sorte de validation des réformes adoptées suite au déclenchement des printemps arabes chez nos voisins. La campagne du gouvernement a commencé par des opérations de charme, c’était du vrai clientélisme ! Le paiement de la vignette automobile a été reporté après l’élection, un calendrier très souple a été adopté pour le recouvrement des impôts et des prêts très avantageux ont été proposés aux chefs de petites entreprises. Mais ça n’a pas marché, et on voit bien que le gouvernement commence à paniquer. »
Des soupçons de fraude pèsent sur le scrutin
Le gouvernement algérien a invité un demi-millier d'observateurs étrangers, dont cent vingt observateurs européens, toutefois leur chef de mission José Ignacio Salafranca n’a pas pu consulter les listes électorales nationales. Fâcheux, mais Me Nourredine Benissad, qui préside la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme, n’est pas vraiment surpris. « Nous avons l’habitude des scrutins manipulés en Algérie depuis l’indépendance. Mais dès lors que l’Etat invite officiellement des observateurs, il doit leur permettre l’accès à ces fichiers, je ne vois pas pourquoi ces fichiers devraient être confidentiels. »
Des militaires ont été inscrits hors délai dans les villes de garnison alors qu’ils étaient déjà inscrits dans leur commune. L’ONG new-yorkaise Human Rights Watch a par ailleurs accusé les autorités d'avoir procédé à des arrestations arbitraires pour empêcher les manifestations à Alger. En outre, la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme a pointé le traitement partisan des médias d’Etat. Les médias ont très bien couvert les activités gouvernementales. En revanche, les candidats indépendants ont été largement ignorés, et les courants qui ont appelé au boycott du scrutin étaient persona non grata à la télévision.
La course à la succession de Bouteflika et la performance des partis islamistes
Ce scrutin se déroule à deux ans de la fin du mandat du président Abdelaziz Bouteflika, et un mauvais score du FLN donnera du grain à moudre aux factions du parti qui souhaitent que l'actuel secrétaire général, Abdelaziz Belkhadem, lâche les rênes du parti. Par ailleurs, le Front des forces socialistes (FFS), le plus vieux parti d’opposition, participe pour la première fois à un scrutin législatif depuis 1997.
Il faudra surtout suivre de près le score des partis islamistes, qui ont fait des percées en Egypte et en Tunisie. Mais en Algérie, ils sont en proie à des dissensions internes, et ils se rendent à ces élections en rang dispersé. Nasser Djabi, professeur de sociologie politique à l'université d'Alger, estime que « ces partis se sont compromis en maintenant leurs ministres au gouvernement. Les islamistes « couche moyenne » d’Ennahda, du MSP et de El-Islah participent au gouvernement depuis des années. Ce sont des gens qui sont rentrés dans le jeu du pouvoir et qui sont intégrés. Ils veulent être plus proches de la rente et en échange, ils donnent au gouvernement de la légitimité, sans pour autant impulser de profonds changements, or c’est ce que réclament les Algériens ! »
Les partis islamistes, qui détiennent 15% des sièges dans l'assemblée sortante, espèrent néanmoins devenir la première force politique de l’Algérie à l'issue du scrutin d'aujourd'hui.