Défendre le droit des femmes par temps de guerre. Un défi éminemment difficile à relever, tant la paix n’est déjà pas gage d’équité des genres. C’est pourtant à ce combat que les membres du comité du prix Nobel de la paix ont voulu rendre hommage. Trois consécrations pour une seule cause : « la lutte non violente en faveur de la sécurité des femmes et de leurs droits à participer aux processus de paix », selon les propres mots du président du comité Nobel, Thorbjoern Jagland.
Ellen Johnson Sirleaf, la femme africaine dans le monde
L’une des lauréates était pressentie : le nom de la présidente du Liberia Ellen Johnson Sirleaf circulait depuis plusieurs jours, même si une nomination collective pour tous les acteurs du « printemps arabe » avait les faveurs de bookmakers. Première présidente d’un pays africain - elle accède au pouvoir en 2006 - Ellen Johson Sirleaf, 72 ans, fut d’abord ce symbole, en Afrique, que la femme avait toute sa place dans les hautes sphères d’un Etat. En odeur de sainteté du côté des institutions internationales, cette ancienne élève d’Harvard est aussi la marque d’une Afrique moderne, au fait des réalités internationales tout autant que de celles du continent. Cadre à la Banque mondiale, responsable régionale du Programme des Nations unies pour le développement, ministre des Finances au Liberia, elle a su multiplier les responsabilités. Elle fut aussi emprisonnée à plusieurs reprises sous le régime de Samuel Doe, dans les années 1980.
Certains de ses opposants ne manqueront pas de souligner qu’au sujet de la paix, justement, tout est encore à construire au Liberia. Panser les plaies de 14 années de guerre civile (1989-2003) est une tâche délicate et la consécration en Norvège d’Ellen Johnson Sirleaf, à quatre jours de l’élection présidentielle pour laquelle elle remet son mandat en jeu, peut être également perçue comme une incitation de la communauté internationale à poursuivre sa tâche. Et cela malgré un rapport de la Commission Vérité et Réconciliation de 2009 qui préconisait que l’actuelle présidente ne tienne pas les rênes du pays pendant au moins trente ans, pour avoir soutenu l’ancien président Charles Taylor lors du déclenchement de la guerre en 1989.
Leymah Gbowee, le terrain d’abord
C’est justement au cours de ce long conflit que s’est illustrée Leymah Gbowee, l’autre lauréate libérienne du prix Nobel de la paix 2011. « Red », telle qu’on l’a surnommée dans son enfance pour son teint clair, est une femme de terrain, loin des sommets politiques que tutoie sa compatriote. Une autre façon de s’attaquer aux maux de son pays. Par le bas. Elle s’occupa notamment de ces enfants-soldats que les généraux de tous bords enrôlaient de force pour les envoyer au feu, drogués et fanatisés. Terre à terre Leymah Gbowee ? A des moments, c’est certain. Comme lorsqu’à la tête de son mouvement Women of Liberia Mass Action for Peace (Action de masse des femmes du Liberia pour la paix), elle organisa en 2003 la « grève du sexe » pour forcer Charles Taylor à associer celles-ci aux négociations.
Une arme redoutable en forme de pied de nez à la perception machiste du rôle de la femme qui sera reprise dans plusieurs pays, comme au Kenya. Leymah Gbowee ajoute également toute une symbolique religieuse à son action : pas de combat sans prière, elle exhorte les femmes de son pays à se tourner vers Dieu pour faire avancer la paix.
Tawakkol Karman, médiatiser pour révolutionner
La religion est également l’affaire de Tawakkol Karman. Membre du parti d’opposition islamiste al-Islah, cette journaliste de 32 ans, originaire de la province de Taëz (sud-ouest du Yémen) est aussi la première femme arabe à se voir décerner le prestigieux prix. Pour être sûr de la trouver, il faut se rendre à Sanaa, la capitale, où elle a sa tente, place du Changement, le sanctuaire des opposants au régime du roi Abdallah Saleh.
En mars dernier, elle s’y est installée pour fuir la pression des autorités à son domicile. Et si le soulèvement populaire a laissé place à une sanglante guerre tribale, elle n’a jamais cessé d’entretenir la flamme de la contestation, appelant par SMS ses compatriotes à toujours plus de résistance. Pasionaria des médias, elle avait créé, en 2005, « Femmes journalistes sans chaînes » pour défendre la liberté d’expression. Et fut l’une des premières à sentir, en janvier, que le vent des révoltes tunisienne et égyptienne irait jusqu’à toucher la pointe de la péninsule arabique. Ce prix Nobel de la paix est d’abord pour elle une « victoire pour la révolution ».