Liberticide par certains aspects, antidémocratique et terroriste par d’autres, la Jamahiriya libyenne de Mouammar Kadhafi, de l’avis général, a néanmoins su accorder un véritable statut aux femmes. « Des pays musulmans, la Libye est le seul à avoir reconnu la femme citoyenne au même titre que l’homme », souligne Anna Graef, sociologue spécialiste de la condition féminine en Libye, jointe par Rfi.fr. Les femmes, en conséquence, se sont taillées une vraie place dans la société libyenne, aujourd’hui acceptée par la majorité de leurs concitoyens. Elles sont par exemple majoritaires à l’université et, si seule une minorité travaille, certaines peuvent occuper de hautes fonctions comme avocates, juges ou officiers de l’armée.
Cette place leur a permis de prendre part à la révolution, et ce dès l’origine : « le début du soulèvement contre Kadhafi, ça a été une manifestation des avocats à Tripoli et Benghazi, dans lesquelles il y avait beaucoup de femmes », rapporte à Rfi.fr Ibtisan Al-Kilani, avocate libyenne en France. « Les femmes libyennes ont participé aux réunions des jeunes pour organiser les manifestations », souligne pour sa part Afaf Geblawi, journaliste de l’AFP en Libye.
Lourd tribut
Pourtant, à regarder les images qui sont parvenues du mouvement qui a abouti à la chute de Mouammar Kadhafi, peu montrent des femmes dans les manifestations. Afaf Geblawi confirme qu’« on ne voyait pas beaucoup de femmes dans les manifestations » et estime que c’est parce que « c’est une question sensible dans la société. On a toujours peur qu’elles fassent l’objet d’enlèvement, de viols ». Mais pour elle, les femmes font partie de la révolution aussi parce qu’elles ont « payé un lourd tribut qui a eu des conséquences sur leur propre personne (...). Elles ont perdu un fils, un mari, un amoureux, un ami. Elles ont été très exposées à la contestation et à la répression », dit la journaliste.
Pour l’heure, le CNT, dont le président et le Premier ministre sont des hommes, fait part de sa volonté d’intégrer des femmes dans son organisation. Notamment parce que cela serait bénéfique pour son image aux yeux des pays qui le soutiennent. Ibtisan al-Kitani affirme qu’elle a « participé au CNT de Misrata » et que « les hommes ont immédiatement accepté » qu’elle y « joue un rôle ».
Femme en armes
« A partir du régime jamahiryen, introduit en 1973, Kadhafi a plaidé pour l’amélioration du statut archaïque des femmes et a toujours lutté contre le patriarcat très dur qui prévaut en Libye », rappelle Anna Graef. Elle souligne également que l’ancien chef d’Etat a créé en 1979 l’Académie militaire féminine et un service militaire pour les jeunes filles au lycée, après trois longues années de refus du Parlement. « Cette académie était destinée à donner une autre image de la femme : celle qui est capable de se défendre elle-même, ‘la femme en armes’, qui n’a pas besoin de père ou de frère ».
Cette place faite aux femmes sous Kadhafi s’explique également par l’éducation du « Guide ». Elevée par sa mère et ses sœurs, il a été entouré par des femmes dans son enfance et dans sa vie d’homme politique, où ses « amazones » jouaient un rôle important. Une considération qui doit être néanmoins sérieusement nuancée : récemment, à la faveur de la fuite du dictateur, plusieurs de ces femmes ont rapporté avoir été enrôlées de force, et avoir subi des viols à répétition par Kadhafi et ses proches (voir encadré). Par ailleurs, l’estime que semblait porter Kadhafi aux femmes n’était pas pour autant désintéressée : promouvoir leurs droits aux débuts de son règne était aussi un moyen d’obtenir un soutien de poids.
Le voile, accessoire de mode
Reste à savoir si le changement de mentalités entrepris sous le régime de Kadhafi sera suffisant pour que les femmes prennent part à l’avenir politique de leur pays. Ce qui dépend notamment du rapport à l’islam qu’entretiendra le CNT. Dans sa Déclaration constitutionnelle du 17 août, le CNT annonçait que la charia serait la « source principale de la loi » une fois qu’il aura pris le pouvoir. Le texte garantissait en parallèle un « Etat démocratique », le respect des droits fondamentaux, de l'égalité des chances ou encore de la vie privée.
Dans la Libye kadhafiste l’islam « se basait officiellement uniquement sur le Coran, et non sur les hadiths. Sauf les milieux islamistes extrémistes, surtout présents dans l’est du pays et à la frontière tunisienne, c’était donc un islam modéré et ouvert, sincère », selon Anna Graef. Une modération que confirme le fait que, selon la sociolgue et Ibtousan al-Kilani, une majorité de Libyennes perçoivent le port du voile comme une question de mode plus que de religion, n’hésitant pas à adapter la couleur du tissu à la tendance du moment.
Les bases pour une participation des femmes à la vie politique, sans fondamentalisme religieux semblent donc posées. Difficile pour autant d’affirmer qu’elles bénéficieront de la même place que les hommes. Il s’agira surtout de voir si des islamistes seront en mesure d’assumer des fonctions importantes au sein d’un futur gouvernement. « Si les extrémistes devaient prendre le contrôle de la direction du bureau politique, il est à craindre qu’il n’isole les femmes et qu’il limite beaucoup son rôle et ainsi qu’il vole à la femme les réalisations de ces dernières années », s’inquiète Afaf Geblawi. Dans l’instabilité actuelle, il faudra sans doute encore attendre que le sort de Mouammar Kadhafi soit fixé pour que le CNT puisse pleinement mettre en œuvre son projet, et savoir quelle place les femmes pourront y trouver.