« Ce que la politique enseigne aux femmes, c’est que rien ne leur est donné d’avance ». Aissata Tall Sall enfile ses baskets, son survêtement, noue un foulard rouge pour tenir ses cheveux coupés au carré et s’apprête à s’attaquer au tapis de jogging, comme elle s’attaque au milieu très masculin de la politique depuis des années.
Le sport quotidien, cette toucouleur sénégalaise l’a découvert après les élections perdues par son parti, le Parti socialiste, en 2000. Dès ses premiers pas dans la politique, Aissata Tall Sall, aujourd’hui avocate et maire de Podor dans le nord du Sénégal, a su qu'il fallait s'imposer dans un milieu d'hommes. « J’ai eu la chance d’avoir un père qui nous a mis à l’école, mes sœurs et moi, et c’est là que j’ai compris qu’il y avait une succession de barrières à franchir, confie-t-elle. Le tout n’était pas d’aller à l’école mais il fallait se battre pour, diplôme après diplôme, avancer dans le cursus scolaire. Finalement ça vous forge un caractère et vous vous dites que tout est arraché ». A cette difficulté de progresser dans le milieu scolaire, s’ajoutent les réticences de sa famille. Sa mère et son grand-père craignaient qu’elle ne devienne « vieille fille ». Avec autant d’éducation, comment trouver un mari ? Les clichés sur la traditionnelle répartition des rôles entre les hommes et les femmes sont encore solides…
« En Afrique, votre place, c’est dans la cuisine ! ». Combien de fois, les femmes qui se lancent en politique ont entendu cette phrase. Devant un parterre de femmes, en mars dernier à Tanger, à l’occasion du Forum des femmes élues locales d'Afrique, Brigitte Rasamoelina s’est insurgée contre cette répartition des rôles, entretenue dès l’enfance. Elle est descendue de l’estrade. Un homme est venu la voir, mécontent, estimant qu’elle allait un peu trop loin. Cette médecin malgache de 50 ans, qui jouait autant à la poupée qu’au ballon avec son petit frère, lui a répliqué : « Dès la plus tendre enfance, la petite fille aide sa maman et le petit garçon peut jouer au football. Ce n’est pas bien, quand il sera grand il sera habitué à voir sa sœur à la cuisine ou nettoyer la maison alors qu'on l’aura, lui, privilégié. En ce moment des femmes sont footballeurs, conduisent des voitures. Si on veut instaurer la parité, il ne faut pas véhiculer des stéréotypes dès l’enfance ! ».
Ni féministe, ni extrémiste
Cette jolie brune assure qu’elle n’est ni féministe, ni extrémiste. Son grand-père, politicien, l’a inspirée, son mari l’a incitée et puis l’alternance politique de 2002*dans son pays l’a encouragée à entrer dans ce milieu. Sauf qu’elle a vite déchanté, se rendant compte que « les femmes sont considérées comme des instruments pour taper des mains mais quand il s’agit d’attribuer un poste, il revient à un homme, qu’elle que soit votre valeur ». Même constat pour Aissata Tall Sall : « De vieux clichés traînent de générations en générations. Les milieux les plus conservateurs, les plus réfractaires aux changements, ce sont les milieux politiques, c’est une des raisons pour lesquelles il est souvent difficile qu’une fois arrivé au pouvoir, la démocratie tourne comme il le faut, car déjà dans l’opposition et les partis politiques, la démocratie interne fait très souvent défaut ».
Elle sait de quoi elle parle, même si elle est devenue l’une des dirigeantes du PS sénégalais : « Je fais partie d’un des plus vieux partis politiques du continent qui catégorise les militants selon leur sexe ». De manière générale, les femmes sont cantonnées au stade de simples militantes. « Ça me fait mal, lance Aissata Tall Sall. Les femmes ne peuvent pas démontrer qu’elles sont capables d’aller conquérir le pouvoir politique en étant ravalées à ce niveau d’animatrices de partis politiques avec des boubous et des foulards qu’on leur offre».
Les exemples doivent servir
En ce qui la concerne, pas question de laisser les postes décisionnels aux hommes : « j’ai voulu casser (...). Cela a créé un grand débat mais on a fini par y arriver ». A tel point qu’elle pense déjà fort à la présidentielle de 2012. Ellen Johnson Sirleaf, a déjà tracé la voie au Libéria en 2006. Le Sénégal a aussi eu une femme, l’une des rares du continent, Premier ministre : Mame Madior Boye (2001-2002). Les femmes représentent 11% de l’exécutif local, une loi sur la parité des listes électorales a été votée en 2010 et est en attente de promulgation. Le Sénégal se retrouverait donc dans la moyenne.
Malgré des statistiques inexistantes, on parle d’une moyenne de 12% de femmes élues locales sur le continent africain, un chiffre gonflé par les bons résultats de certains pays comme le Rwanda, qui compte 56% de femmes au Parlement, ou encore l’Afrique du Sud, le Mozambique et l’Ouganda, aidés par un système de quotas. « Avant, au Rwanda, la femme n’avait pas son mot à dire devant les hommes mais maintenant nous sommes sur un pied d’égalité, nous pouvons désormais jouer le même rôle en politique », explique Eugénie Musanabaganawa, militante du Parti de la prospérité et de la solidarité dans son pays. La dirigeante de cette formation, Phoebe Kanyange, ne cache d’ailleurs pas qu’elle veut être la prochaine présidente de son pays.
« Il y a au moins 50% de femmes dans chaque pays mais malheureusement quand on arrive au niveau des élus locaux, la situation n’est pas bonne », concède Jean-Pierre Elong-Mbassi, secrétaire général de cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLUA). « Comment se fait-il que les femmes qui gèrent la vie quotidienne soient si peu représentées au niveau des collectivités locales ? », s’insurge-t-il.
« C’est difficile pour elles. Il faut voir la grande pauvreté des femmes en général, elles n’ont aucune autonomie financière », fait remarquer Elaine Hemond, fondatrice du Groupe femmes, politique et démocratie au Québec. Selon le CGLUA, les femmes représentent 70% des pauvres du continent, possèdent moins de 2% des terres, bénéficient de moins de 5% des prêts bancaires et n’ont généralement pas la maîtrise des textes, des procédures ou des rouages. Raisons pour lesquelles Elaine Hemond forme des femmes, notamment au Niger, à l’engagement politique, à la négociation du pouvoir, voire à s’affirmer au sein de la communauté, en conservant leur identité. « Les femmes pensent souvent qu’elles n’ont qu’à endosser le discours du parti, mais il faut amener ses messages, ses valeurs, ses propres visions politiques ».
Le poids des conventions
Le père d’Odette Mouyayou Ndember, 5e maire adjointe de Libreville, lui disait qu’elle était un homme, ce qui fait sourire cette femme coquette, qui se plaint, en revanche du manque de soutien de ses « sœurs ». « Dans la plupart des cas, nous sommes plus encouragées par les hommes que par les femmes ! L’ennemi de la femme, c’est la femme elle-même ! », constate-t-elle.
Et puis il y aussi les mauvaises habitudes, comme tous ceux qui gratifient Fatimetou Mint Abdel Malick, maire de Tevragh-Zeina, au cœur de Nouakchott en Mauritanie, d’un « monsieur le maire ! ». La petite femme au fort caractère a pris le réflexe de rectifier systématiquement. Enfin, elles en parlent toutes : concilier la vie de famille et le mandat électoral n’est pas évident.
Certaines, comme, Malika El Rhannoussi, ont ainsi attendu la retraite pour se lancer en politique. Rencontrée à Tanger, en mars dernier, cette ancienne institutrice marocaine pointait du doigt un espace propre entre deux bâtiments puis des lampadaires : « Mon travail, c’est de réparer cela. La lumière est cassée, je passe un coup de fil. Ici il y a avait un tas de gravas, maintenant tout est propre ! Je suis fière de suivre mon travail jusqu’à la réalisation », expliquait-elle avec un plaisir non dissimulé. « Je ne fais pas de la politique, j’aime être élue pour aider les citoyens, c’est tout ».
Un combat sans cesse renouvelé
Malika participait, elle aussi, au Forum des femmes élues locales d'Afrique. «Je n’appartiens plus à la cuisine, j’appartiens à l’espace public ! », a lancé à cette occasion avec force l’ancienne parlementaire kényanne Esther Keino : « Nous devons porter assistance à nos sœurs qui sont encore prises dans les cuisines. Plus il y aura de femmes dans l’espace public, dans les directions, plus ce seront de bonnes décisions qui seront prises ».
Enfin, Aissata Tall Sall avoue que les hommes « pensent qu'ils peuvent davantage négocier » avec elle quand elle est en tenue traditionnelle que lorsqu’elle est en pantalon ou en tailleur occidental, car l'image de l'africaine les convainc : « celle (femme africaine) qui s'accommode et qui fait des concessions ». Tout comme la mauritanienne Fatimetou, « fatiguée de ce boulot stressant un peu ingrat mais avec la satisfaction morale de satisfaire les populations », la sénégalaise confie qu’elle aussi est souvent fatiguée mais « qu’il y a toujours un ressort de volontarisme », même si elle veut croire que la prochaine barrière à franchir est la dernière, en son for intérieur, elle sait qu'une autre s'érigera : « C’est le jeu de la politique, le jeu de la vie. Il n’y a que la mort qui vous en sépare ». Elle éclate de rire et retourne sur son tapis de sport, histoire de fortifier son corps pour accompagner son esprit de combattante.