Au crépuscule du meurtrier conflit libyen qui a fait plus de 20 000 victimes selon le Conseil national de transition (CNT), la question de la reconstruction du pays préoccupe les pays européens. Derrière les justifications humanitaires et la nécessité de soutenir les peuples opprimés, les pays occidentaux espèrent profiter des retombées économiques : après des semaines de conflit, la Libye est globalement désorganisée. De nombreuses infrastructures sont à reconstruire, sans parler du redémarrage de la vie au quotidien.
La France et le Royaume-Uni, en pointe dans les opérations militaires aux côtés des insurgés, sont en bonne position pour décrocher des contrats en Libye, l’un des premiers producteurs de pétrole africain avec 2% de la production mondiale. Si la guerre a réduit à néant l’extraction d’or noir, les spécialistes s’accordent à dire que la production de barils pourra revenir à son niveau normal d’ici à deux ans. Un délai raisonnable pour des entreprises qui ont les moyens d’attendre les profits sur le long terme.
Cependant pour le patron d’ENI, la production de pétrole pourrait redémarrer dans quelques mois et celle de gaz, très rapidement. Les marchés ont d’ailleurs bien perçu cette tendance. Alors même que le cours du brut reculait, les titres du groupe Total et celui du groupe italien ENI ont clôturé en forte hausse.
Cependant, il n’est pas seulement question de pétrole. La reconstruction du pays détruit par une guerre civile, relativement courte mais très violente, va nécessiter le renfort de nombreuses entreprises étrangères de tous les secteurs. D’autant qu’avant même le début de la guerre, la Libye importait déjà près de 90% de ses besoins en produits alimentaires et en équipements, une aubaine pour des pays exportateurs.
Une concurrence du don acharnée
L’Italie, ancienne puissance coloniale, cherche également à renforcer sa position sur le marché libyen. Avant l’insurrection, l’Italie était le premier partenaire de la Libye avec près de 180 entreprises installées. Cette forte présence a d’ailleurs contraint le gouvernement italien à adopter une position ambiguë au début de l’insurrection. Une position prudente, dont Rome craint d’avoir à subir les conséquences économiques.
D’où, sans doute, l’empressement de Silvio Berlusconi à débloquer 350 millions de dollars d’avoirs libyens après la demande d’aide du CNT. Et ce, en se passant du feu vert de l’ONU ou de l’Union européenne. Dans la même logique, la firme ENI assure qu’elle fournira aussi de grandes quantités de gaz et d’essence à la population libyenne dont les paiements s’effectueront plus tard au moment où reprendront les livraisons de pétrole.
Derrière une volonté affichée de faire face à l’urgence et de répondre aux besoins, se cache donc l’attente d’un retour sur investissements. C’est ce qui explique cette avalanche de dons, aucun pays ne souhaitant se laisser distancer dans la course aux soutiens de la nouvelle Libye. La concurrence s’annonce donc rude alors que le Qatar, en première ligne durant le conflit, souhaite s’imposer comme un acteur majeur dans le pays et que la France a déjà appelé à une grande conférence internationale pour venir en aide à la Libye.
Malheur aux indécis
Dans la nouvelle Libye, si le soutien politique est récompensé, les indécis, eux, seront pénalisés. Abdeljalil Mayouf est le directeur de communication de la compagnie pétrolière Agoco (Arabian Gulf Oil Company) qui a pris le parti des rebelles. Pour ce représentant de la compagnie pétrolière et gazière libyenne, il n’y a « aucun problème avec les pays occidentaux ni avec les entreprises italiennes, françaises ou britanniques. Mais nous pouvons avoir quelques problèmes avec la Russie, la Chine ou le Brésil ». Dans ce contexte de concurrence acharnée, les entreprises de ces pays vont donc avoir des difficultés pour se développer sur le territoire libyen.
Pour d’autres pays qui n’ont offert qu’un soutien timide ou tardif aux insurgés, la tâche s’avère également complexe. L’entreprise pétrolière allemande Winstershall, très présente durant l’ère Kadhafi, a préféré se refuser à tous commentaires pour ne pas envenimer la situation, tandis que les géants américains BP ou Marathon ont adopté une attitude tout aussi prudente dans l’attente de voir qui dirige véritablement le pays.
Les grands exclus du redémarrage économique de la Libye seront également les nombreux pays africains qui ont trop attendu pour se déclarer solidaire de la révolte. Mais c’est le Venezuela, qui loue encore la ténacité de Kadhafi à rester au pouvoir, qui risque d’être le principal perdant de cette nouvelle distribution des cartes à l’échelle nationale libyenne.