Comme la Tunisie, l’Egypte post révolutionnaire s’est tournée dans les premiers mois de 2011 vers les bailleurs de fonds. Du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, Le Caire avait obtenu le 5 juin dernier la promesse d’un prêt de trois milliards de dollars. Les conditions étaient bonnes : peu d’exigences quant à la politique économique et budgétaire à suivre, remboursement en un an à un taux d’intérêt très faible de 1,5%. Mais n’étant pas encore passé par les urnes, le gouvernement égyptien de transition est fragile et s’est vu dans l’obligation de céder à la pression de la rue qui voit dans le FMI l’incarnation des maux économiques du pays.
Alors que le FMI, dans l’attente de la prise de fonction de la nouvelle directrice générale, Christine Lagarde, connaît une phase de transition, ce refus pourrait être interprété comme un camouflet à la principale institution financière internationale.
Le FMI n'est plus la panacée en matière de prêts financiers
L’Egypte profiterait de la période de transition à Washington pour échapper au carcan que l’organisme impose généralement aux gouvernements des pays endettés. Le Caire pourrait être encouragé par la structure de son endettement : le gros de la dette publique est une dette interne. Le pays doit relativement peu d’argent aux bailleurs de fonds internationaux. Les dirigeants égyptiens pourraient aussi trouver un certain renfort dans la position de nombreux pays émergents face au FMI.
Nombre de ces pays, en particulier en Afrique, se sont très largement désendettés au cours de la dernière décennie. Les multiples programmes de remise de dette, qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux, ont contribué à assainir les finances publiques de ces pays. Le rôle du FMI, hier crucial, n’est donc plus aussi fondamental dans la mesure où ces pays ont moins besoin de recourir à la planche à billets du FMI. Cela aurait pu encourager le gouvernement égyptien et incite donc à s’interroger sur le rôle futur du Fonds monétaire international
Pourtant, l’attitude égyptienne n’est pas une nouveauté. Comme le souligne l’un des grands économistes français, Michel Aglietta, professeur d’économie à Paris X Nanterre, « au tournant des années 2000, de nombreux pays asiatiques ont tourné le dos au FMI ». Deux pays en particulier se sont illustrés : la Malaisie et l’Indonésie. C’était après la grande crise financière qui avait ébranlé les économies asiatiques en 1998.
Plutôt que de passer sous les fourches caudines du Fonds monétaire international et de se plier à ce qu’il était convenu d’appeler le « consensus de Washington », ouverture des frontières, libéralisation du marché intérieur, stricte politique d’équilibre budgétaire, Jakarta et Kuala Lumpur avaient préféré rembourser très rapidement ce qui était dû au FMI et se débarrasser d’une encombrante tutelle.
A l’époque, privé de son rôle de prêteur pour les pays en développement très endettés et de pivot du système monétaire international qui était le sien jusque dans les années 70, le FMI avaient vu monter des questions sur son rôle et son utilité.
Un rôle de pivot monétaire à retrouver
Mais aujourd’hui, souligne le professeur Michel Aglietta, « Avec le basculement d’un système ayant le dollar comme pivot vers un système polycentrique ou reposant au moins sur trois monnaies, le dollar, l’euro et le yuan, il est clair que le FMI devrait rejouer un rôle vis-à-vis du marché des changes qui pourrait connaître une instabilité importante du fait des arbitrages des investisseurs entre ces trois grands pôles. Un système multipolaire, poursuit Michel Aglietta, suppose un minimum de concertation et il faut redonner au FMI un rôle central en matière monétaire et un rôle de meilleure compréhension du risque systémique en créant des indicateurs d’alerte pour essayer de désamorcer des crises futures. »
Pour iconoclaste qu’elle soit, et peut-être mal pensée sur le plan des intérêts économiques égyptiens, la décision du Caire illustre probablement les grandes questions que devront se poser demain les dirigeants de la communauté financière internationale et ceux du FMI.
Le Fonds n’est plus le grand ordonnateur des politiques budgétaires des pays pauvres très endettés. Il les encourage et joue auprès d’eux un rôle de conseil. Aussi devra-t-il se tourner vers le rôle qui était le sien lors de sa fondation à l’issue de la Conférence de Bretton Woods, en décembre 1945 : celui de d’ordonnateur des désordres monétaires.