Pour Idriss et Mourad, le permis de séjour valable trois mois dans tout l’espace Schengen, représente une lueur d’espoir. Bloqués depuis des semaines à Vintimille, sur la Côte d’Azur à la frontière entre la France et l’Italie, les deux Tunisiens veulent à tout prix quitter l’Italie pour trouver du travail ailleurs en Europe. Plusieurs fois, les deux hommes ont été refoulés à la frontière. Avec le permis de séjour délivré par les autorités italiennes, ils espèrent pouvoir circuler librement dans tout l’espace Schengen. « Belgique, Allemagne, France, je resterai là où je trouverai du travail », dit Idriss, « ici, en Italie, il n’y a rien à faire pour nous ».
L'accord trouvé à Milan entre Claude Guéant, le ministre français de l'Intérieur et Roberto Maroni, son homogue italien, devrait amoindrir les espoirs de ces hommes. Car leur désir de venir en France est maintenant tributaire de cet accord franco-italien « sur l’interprétation du Traité de Schengen » : « La France, a déclaré Claude Guéant, agira dans le respect des règles de libre circulation, mais aussi dans le respect de l’article 5 du Traité qui prévoit la justification de documents d’identité en cours de validité et de ressources financières de la part des migrants ».
Les clandestins comme Idriss et Mourad risquent donc de continuer à être interpellés par la police française côté français de la frontière avec l'Italie. En mars, les autorités ont arrêté pas moins de 2 800 Tunisiens sans papiers sur le territoire français. Pour la plupart, des hommes jeunes qui comptent rejoindre leurs familles déjà installées en France. Et des centaines d’immigrants attendent encore à Vintimille en Italie.
« Manque de solidarité »
Une fois passé la frontière, les autorités françaises les reconduisent vers l'Italie, en vertu d'un accord entre les deux pays qui date de 1997 et qui autorise la France à refouler les migrants vers leur pays d’accueil. L’Italie y voit un manque de solidarité flagrant. « Nous sommes en première ligne d’une vague massive d’immigration », insiste l’eurodéputé italien Fiorello Provera du groupe Europe Libertés Démocratie, «lors d’une catastrophe humanitaire, il faut partager le fardeau ». L'accord trouvé à Milan devrait satisfaire le gouvernement italien puisque la France va organiser conjointement avec l'Italie des patrouilles aérienneset maritimes au large des côtes d'Afrique du Nord afin de dissuader les Tunisiens notamment de partir.
Depuis la révolution en Tunisie, ces cris d'alarme des Italiens se sont succédés. Rome se dit dépassée par l'afflux des migrants. Selon le ministre de l'Intérieur Roberto Maroni, 25 800 migrants ont débarqué en Italie depuis la chute du président tunisien Ben Ali, un flux bien trop important pour le gérer seul, sans l’aide des autres 26 Etats membres de l’Union européenne, selon Rome.
Avant même ce rendez-vous de Milan, l’eurodéputée chrétienne-démocrate Véronique Matthieu avait souligné que la France n’a pas abandonné l’Italie et l’aide à lutter contre l’immigration clandestine à travers ses contributions à Frontex, l’Agence européenne de surveillance des frontières extérieures.
Depuis plusieurs semaines, l'Italie et la France ne font que se renvoyer la balle et prennent au piège les migrants. Pour « vider la baignoire », comme l'a dit brutalement le leader du parti anti-immigré Ligue du Nord, Umberto Bossi, les autorités italiennes ont inventé une nouvelle astuce : un permis de séjour temporaire aux migrants, valable dans tout l'espace Schengen.
La France craint de « subir une vague d’immigration »
A Milan, le ministre français de l'Intérieur, Claude Guéant, n'a pas changé d'avis concernant le fait que la France ne veut pas « subir une vague d’immigration ». Le permis de séjour temporaire accordé par l'Italie aux migrants ne suffira en aucun cas à éviter le refoulement des clandestins vers l'Italie. Une instruction envoyée aux préfets indique déjà qu’il faut justifier de ressources suffisantes et être en possession d’un titre de voyage en cours de validité. Ces conditions sont maintenues dans l'accord de Milan.
S’ils sont très divisés sur la question d’immigration transfrontalière, Rome et Paris sont en revanche d’accord pour accélérer les rapatriements de migrants vers la Tunisie. Roberto Maroni a précisé qu'un projet de rapatriement volontaire destiné à tous ceux qui obtiendront le permis de séjour temporaire, sera proposé aux membres de l'Union européenne. Mais les 27 se heurteront à ce moment-là à un autre mur : la Tunisie a elle-même accueilli plus de 200 000 refugiés libyens sur son sol, dix fois plus que l'Italie - l'idée de reprendre les migrants tunisiens de Lampedusa n’enthousiasme que très peu les Tunisiens.
Avec Anne Le Nir à Rome