Alain Juppé à RFI : la Côte d’Ivoire doit «repartir sur la voie du développement»

Interviewé ce mercredi 6 avril sur RFI, Alain Juppé, le ministre français des Affaires étrangères a dénoncé l’entêtement de Laurent Gbagbo. Une interview réalisée par Sébastien Jédor et Christophe Boisbouvier.

RFI : Où en sont les négociations avec Laurent Gbagbo sur une éventuelle reddition?
Alain Juppé :

Elles se poursuivent à l’initiative de l’ONU et avec la facilitation de la France. Laurent Gbagbo s’entête. Il est totalement isolé désormais. Il a été lâché à peu près par tous ceux qui l’entouraient jusqu’ici. Nous maintenons la pression. Il n’est plus le président de la Côte d’Ivoire et doit reconnaître la victoire d’Alassane Ouattara.

RFI : Si Laurent Gbagbo refuse de reconnaître la victoire d’Alassane Ouattara, est-ce qu’on va vers un assaut de sa résidence?
A.J. : Je n’ai pas d’indication sur ce point. Nous sommes intervenus en soutien de l’Onuci, des Forces des Nations unies, pour neutraliser les armes lourdes qui menaçaient la population. Il appartient au président Ouattara de définir, quant à lui, sa stratégie.

RFI : Lors d’une interview à RFI, Laurent Gbagbo va plus loin. Il demande même une négociation sur les résultats de la dernière présidentielle?
A.J. : Ceci est évidemment inapplicable et inacceptable. Aujourd’hui, la cause est entendue. L’ONU, l’Union africaine, la totalité des Etats voisins de la Côte d’Ivoire, les grandes puissances ont très clairement indiqué que les résultats des élections étaient validés et que le seul président de la Côte d’Ivoire est Alassane Ouattara. Il n’y a rien à négocier sur ce point.

RFI : Donc la seule négociation porte sur les conditions de sa sortie?
A.J. : Exactement. La France a demandé que l’Onuci garantisse son intégrité physique et celle de sa famille, bien entendu, et qu’en accord avec les autorités ivoiriennes légales, c’est-à-dire le gouvernement d’Alassane Ouattara, les conditions de son départ soient négociées.

RFI : C’est-à-dire un exil?
A.J. :
Ca, c’est, je le répète, au gouvernement d’Alassane Ouattara d’en décider.

RFI : En pratique, Laurent Gbagbo est donc dans sa résidence avec 100 à 150 de ses partisans armés. Tout autour, il y a donc des milliers de soldats fidèles à Alassane Ouattara qui encerclent cette résidence. Mais on sait qu’Alassane Ouattara hésite à faire donner l’assaut de cette résidence car il ne veut pas commencer son mandat par la mort de son prédécesseur. Est-ce que ce n’est pas une carte dans le jeu de Laurent Gbagbo?
A.J. : Gbagbo ne peut plus réussir. Je le répète, il est totalement isolé. Vous avez raison de dire qu’Alassane Ouattara est un homme qui a un sens élevé des responsabilités. C’est un vrai démocrate. Il a tout fait pour éviter des affrontements. Devant l’entêtement de Gbagbo, ses troupes ont pris le contrôle de la quasi-totalité du pays, la quasi-totalité d’Abidjan. Il faut maintenant que cette résistance absurde de Gbagbo cesse.

RFI : Oui, mais ça va vers la signature de ce fameux papier. S’il ne veut pas le signer ?
A.J. :
Comment voulez-vous qu’il ne soit pas conduit à un moment ou un autre à le signer : il est totalement isolé dans un bunker. Ca ne tiendra pas indéfiniment.

RFI : Sauf s’il y a un assaut?
A.J. :
Je le répète, ça c’est de la responsabilité des troupes ivoiriennes.

RFI : C’est un choix difficile à faire pour Alassane Ouattara?
A.J. :
Naturellement.

RFI : Si aujourd’hui ou demain, Laurent Gbagbo sort vivant de sa résidence, quel est à votre avis son sort le plus probable ? Plutôt la prison, plutôt l’exil?
A.J. :
Franchement, ce qui m’intéresse à partir du moment où Gbagbo sera parti et aura reconnu sa défaite, ce n’est pas son sort. Il sera décidé par les autorités ivoiriennes et la communauté internationale. Ce qui m’intéresse maintenant, c’est la suite en Côte d’Ivoire, c’est-à-dire la reconstruction de ce pays qui est dévasté depuis des années et tout particulièrement depuis quatre mois par les affrontements que vous connaissez. Donc Alassane Ouattara, je le sais, il nous l’a dit, est prêt à lancer un message de réconciliation nationale, de pardon à tous qui se sont fourvoyés, et de constitution d’un gouvernement d’union nationale dans laquelle tout le monde trouvera sa place. A partir de là, il faudra panser les plaies et redonner à ce pays, qui a de grandes capacités et de grandes richesses à la fois naturelles et humaines, la possibilité de repartir sur la voie du développement. Et c’est cela que la France aidera à faire.

RFI : Est-ce que la question de l’immunité ou pas de Laurent Gbagbo est en négociation ce matin?
A.J. :
Je n’ai pas d’indication sur ce point. La Cour pénale internationale a été saisie et c’est à elle de se prononcer.

RFI : Mais est-ce que ce serait souhaitable pour vider l’abcès de la crise ?
A.J. :
Je n’ai pas d’autre réponse à vous faire sur ce point, c’est aux autorités ivoiriennes d’en décider.

RFI : Sur le plan politique, Laurent Gbagbo dénonce l’intervention militaire de la France dans son pays et il a cette phrase « Je trouve vraiment ahurissant que la vie d’un pays se joue sur un coup de poker de capitales étrangères »...
A.J. :
Je suis absolument sidéré par la place que l’on donne aux déclarations de Laurent Gbagbo et au crédit qu’on lui fait. Ce n’est pas du tout un coup de dés de capitales étrangères. C’est une résolution du Conseil de sécurité. La dernière a été adoptée à l’unanimité du Conseil de sécurité. Alors, arrêtons de déplacer le problème. Il y a d’un côté quelqu’un qui a été battu aux élections, qui s’entête à refuser ce que tout le monde a reconnu. Et donc ça n’est en aucune manière une intervention militaire française. La force Licorne s’est abstenue d’intervenir, jusqu’à ce que l’ONU l’appelle à l’aide parce qu’elle était incapable de faire respecter une résolution du Conseil de sécurité, adoptée à l’unanimité, à savoir la neutralisation des armes lourdes dont Gbagbo se servait pour tirer sur la population. Alors arrêtons de mettre Gbagbo sur le même plan que Ouattara.

RFI : Il y a trois ans, dans un discours célèbre au Cap, Nicolas Sarkozy avait dit que « La France, gendarme de l’Afrique, c’était terminé et que désormais, aucun soldat français ne tirerait sur un Africain ». Est-ce qu’il ne s’est pas déjugé lundi dernier?
A.J. :
Absolument pas. La force Licorne n’a pas tiré sur les soldats africains. La force Licorne, à la demande des Nations unies -je vous demande vraiment de le rappeler sans cesse- sur la base d’une lettre très précise du secrétaire général, a neutralisé des blindés et des armes lourdes. Voilà ce que nous avons fait. Et donc, nous sommes en parfaite conformité avec la ligne qui a été la nôtre. Nous avons refusé d’entrer dans une intervention militaire qui aurait mis la Licorne en première ligne.

RFI : Est-ce que tant qu’il y aura des bases militaires françaises en Afrique, la France ne s’exposera pas à ce genre de situation où elle est amenée à tirer?
A.J. :
Vous savez très bien que notre dispositif a été complètement reconfiguré et que, à l’avenir, nous aurons un dispositif à Djibouti et un autre au Gabon. La force Licorne n’a évidemment pas vocation à s’implanter en Côte d’Ivoire. De grâce, essayons de ne pas faire toujours porter tout le chapeau à la France. Ce qui est en cause aujourd’hui, je le répète, c’est de savoir si le droit international, proclamé de façon tout à fait évidente par les Nations unies et par l’Union africaine, tous les chefs d’Etat africains ont fini par lâcher Gbagbo, ce n’est pas la France qui est seule en cause. C’est l’ensemble de l’Union africaine. Est-ce que c’est ça qui va prévaloir ou pas ? Si en Afrique, on constate que des élections qui se sont correctement déroulées, qui ont été validées par l’Union africaine et par les Nations unies, sont bafouées par ceux qui ont été battus, alors c’en est fini de la démocratie en Afrique. C’est ça qui est en cause.

RFI : Mais vous ne craignez pas que des Africains disent ‘ce sont des Blancs qui ont mis Alassane Ouattara au pouvoir?
A.J. :
Ce sont les Ivoiriens qui ont mis Alassane Ouattara au pouvoir. Et ce sont des Africains qui l’ont validé. L’Union africaine n’est pas constituée de puissances blanches, si je me souviens bien.

RFI : Lundi, quatre expatriés (deux Français, un Béninois et un Malaisien) ont été enlevés à l’hôtel Novotel d’Abidjan par des militaires pro-Gbagbo. Avez-vous des nouvelles d’eux ce matin?
A.J. :
Hélas non, nous n’avons pas de revendication et nous ne savons pas où ils se trouvent. Naturellement, nous essayons d’obtenir des informations.

RFI : Ils sont vivants ? Vous avez quand même cette information?
A.J. :
Je vous dis que nous n’avons pas d’information, malheureusement.

RFI : Encore une question sur la Libye. La situation militaire se fige. Est-ce que vous craignez un enlisement?
A.J. :
Aujourd’hui, la situation militaire est confuse et indécise. Le risque d’enlisement existe. Les troupes de Kadhafi ont adopté une nouvelle tactique. Comme la coalition a détruit l’essentiel de leurs avions et de leurs blindés, maintenant, ils agissent sur des pick-up, des petits camions sur lesquels se trouvent les troupes armées de Kalachnikov et qui se glissent dans la population. Et l’Otan a reçu pour instruction d’éviter toute victime collatérale parmi la population civile, c’est ce qui rend l’intervention difficile. Il faut absolument que nous agissions sur Misrata qui est dans une situation humanitaire désastreuse. Je pense qu’un couloir humanitaire permettant d’alimenter la population devrait être maintenant étudié par la coalition. Et puis, ce qui est très important maintenant en Libye, c’est de faire avancer la solution politique. C’est ce dont nous allons parler la semaine prochaine à Doha avec le groupe de contacts qui doit se réunir.

RFI : Les négociations politiques ont-elles commencé avec l’entourage du colonel Kadhafi?
A.J. :
Il y a des contacts qui ont été pris. Là encore, c’est tout à fait clair. Il ne s’agit pas de garder le même régime. Il faut un régime qui soit ouvert aux revendications légitimes du peuple libyen telles qu’elles se sont exprimées, notamment par la voix du Conseil national de transition, c’est-à-dire que la démocratie et le respect des droits de l’homme progressent en Libye.
 

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