De notre envoyé spécial à Rotterdam,
Grand Hôtel de Beira, Mozambique, à l’époque coloniale, dans les années 1950. Imaginez l’hôtel le plus gigantesque jamais construit en Afrique - un monstre de 12 000 m2 - avec ses 120 chambres luxueuses, ses fastes, ses réceptions mondaines, ses fêtes somptueuses et le champagne coulant toujours à flots. Imaginez ensuite le même édifice 60 ans plus tard, totalement délabré, sans eau ni électricité, squatté par plus de 2 500 personnes qui dorment et cuisinent à même le sol. Une ville dans la ville, avec ses propres lois. C’est dans cet univers clos que nous entraîne le documentaire de la Belge Lotte Stoops.
« L’idée du film m’est venue quand j’étais à Beira. Pendant plus d’une semaine, je passais tous les jours devant ce bâtiment sans savoir que, auparavant, c’était un hôtel. Ce monde m’intriguait. Après quelques recherches approfondies, notamment à Lisbonne, et deux ans de réflexion, j’ai décidé d’en faire un film », raconte la réalisatrice.
Quelques « résidents permanents » ont grandi dans cet hôtel qu’ils ont toujours connu en ruine. Certains se sont approprié des coins pour y construire leur maison de fortune avec des matériaux de récupération. Çà et là, de petits étals improvisés font office de magasins, il y a même un coiffeur. Et parfois, il faut payer pour traverser des couloirs sombres.
Un bâtiment à l’architecture fasciste
De ce bâtiment à l’architecture fasciste construit à l'époque d'António de Oliveira Salazar, il ne reste plus que la structure imposante. L'histoire de cet hôtel se confond avec celle du pays. Mais que s’est-il vraiment passé pour que cet ouvrage colossal, bâti au bord de la mer, se retrouve dans un état aussi vétuste ?
Petits retours en arrière. Après cinq siècles de colonisation portugaise, le Mozambique accède à l'indépendance le 25 juin 1975. Le gouvernement communiste chasse les Portugais du pays. Le hall de l’hôtel est transformé en salle de réunions du PC mozambicain. Pendant la guerre civile, de 1976 à 1992, des combattants et leurs familles ont occupé les lieux. Pour survivre, les « locataires » successifs ont tout cassé et vendu tout ce qu’il était encore possible de vendre : meubles, boiserie, vitres, tapis, et même des vis ! Aujourd’hui, les gens y vivent dans la misère la plus totale. Ils se lavent dans l’eau croupie de la piscine de l’hôtel (la première piscine olympique du Mozambique). Ils font leurs besoins sur du papier qu’ils jettent après, depuis leur fenêtre, dans une cour où s’amoncellent des excréments. « Il ne fallait pas respirer par le nez mais par la bouche », confie le directeur de la photographie du film, Joao Ribeiro.
Un monde en vase clos
Dans ce monde en vase clos, lieu également de trafics divers, régi selon ses propres règles, mieux vaut toutefois ne pas s’y aventurer seul. Dans ces conditions, comment s’est déroulé le tournage ? « Je suis allée là-bas en respectant les personnes qui y vivent. Je leur ai expliqué mes intentions. Certains hommes que l’on voit dans le film sont devenus en quelque sorte mes gardes du corps. Nous nous sommes apprivoisés », dit la réalisatrice Lotte Stoops. « Ces gens sont considérés comme des marginaux. Ils avaient compris que je voulais faire un film positif. »
Le documentaire de 52 minutes présente des témoignages poignants de personnes qui ont connu l’Hotel Grande de Beira d’antan et ceux de ses occupants actuels. La réalisatrice alterne des images du passé avec celles du présent, accentuant ainsi le contraste entre la richesse d’hier et la misère d’aujourd’hui. Un contraste rendu encore plus saisissant par une photographie qui souligne le côté clair-obscur des lieux. « Le film a été tourné en lumière naturelle, sauf pour deux ou trois scènes, par souci de respect des habitants. Pour ne pas faire une trop grande intrusion dans leur vie privée, j’ai choisi de recourir simplement à une petite équipe mobile », explique Lotte Stoops, qui précise qu’elle n’a « pas voulu faire un film historique ».