A Juba, la capitale du Sud-Soudan, l'affluence était telle que les organisateurs ont parfois du prolonger l'ouverture des bureaux de vote de deux heures pour accueillir la foule d'électeurs. Environ 4 millions de Sudistes, au Sud-Soudan mais aussi dans le Nord et à l'étranger, sont appelés à voter jusqu'au 15 janvier pour le maintien de l'unité ou la sécession. Les résultats définitifs sont attendus d'ici à la mi-février.
Témoignage photographique de Ghislaine Dupont, envoyée spéciale à Juba
et le récit de Gabriel Kahn, envoyé spécial à Juba
Le soleil écrase de chaleur la bourgade sale et empoussiérée qu’est Juba, la capitale du Sud-Soudan. Ce 9 janvier au matin, quelques commerçants arabes, apparemment peu concernés par cette historique journée dominicale, prennent le thé à l’ombre d’un arbre quand soudain leur serveuse, prise de convulsions, s’effondre à côté de son petit établi en bois couvert de verres transparents. Elle se débat à terre, victime d'une crise d’épilepsie.
Indifférents, ses clients, empêtrés dans de larges djellabas blanches, continuent de boire tranquillement leur thé en causant et en regardant au-delà du corps souffrant de cette jeune femme noire, comme si elle n’existait pas. A quelques pas de là, de longues queues se sont formées tôt ce matin devant les bureaux de vote. Parfois, après avoir déposé leurs bulletins dans l’urne, des femmes hululaient de joie. Des hommes brandissaient le poing de la victoire.
En début d’après-midi, aucun incident n’avait été signalé. Tous les électeurs que nous avons interrogés disent avoir voté en faveur de l’indépendance.
Devant le bureau de vote installé dans le mausolée du défunt chef rebelle John Garang, mort dans un mystérieux accident d’hélicoptère en 2005, se distingue un vieillard de 83 ans, une cigarette au coin de la bouche. Malgré les apparences, il déclare être resté sobre depuis plus d’une semaine et s’indigne quand il entend parler d’unité. « En 1955, quand les Arabes voyaient un noir fumer, ils lui enfonçaient sa cigarette dans l’oreille », raconte-t-il en mimant ses propos.
Son voisin ajoute : « Avec l’indépendance, les Arabes ne seront plus des citoyens dans le Sud, il leur faudra avoir un visa, et réciproquement pour nous quand nous irons dans le Nord ».
Les Arabes, qui sont au pouvoir au Soudan depuis le départ des Anglais, il y a 55 ans, sont invariablement accusés par les électeurs, issus de diverses tribus d’Afrique noire, de n’avoir pas développé le Sud. Vingt ans de guerre et plus de 2 millions de morts n’ont certainement pas amélioré les choses.
« Le Sud est une colonie du Nord »
« Je vote pour la séparation, car le Sud est une colonie du Nord. Quand vous allez à Khartoum, vous trouvez de bonnes infrastructures, de l’électricité, de l’eau propre. Mais dans le sud, il n’y a pas de routes, pas d’hôpitaux, rien », souligne Benson, un ancien réfugié.
Peu importe que les anciens rebelles de la SPLA (Armée populaire de libération du Soudan), noyés par la corruption, ne soient pas parvenus à prouver qu’ils étaient capables de développer la province semi autonome du Sud-Soudan ces six dernières années. Les électeurs veulent surtout voir dans ce vote une libération.
Le vote pour l’indépendance est facilité par le fait que le Sud jouit déjà d’une grande autonomie depuis les accords de paix parrainés par les Etats-Unis en 2005.
Par exemple, pour nous rendre à Juba, nous avions le choix de demander un visa dans les bureaux de la délégation des anciens rebelles de la SPLA à Kampala ou à l’ambassade du Soudan.
Le Sud-Soudan a son propre drapeau qui ressemble étonnamment à ceux du Rwanda et de la République démocratique du Congo, deux Etats d’Afrique centrale qui partagent avec le Sud-Soudan le sort d’avoir été récemment pris par des rébellions soutenues par les Etats-Unis.
Le Sud a également ses propres médias, qui ont milité exclusivement pour la séparation, alors que dans le Nord les médias publics se sont efforcés de souligner les avantages de l’unité.
De passage à Juba, le sénateur américain John Kerry a participé à une messe en compagnie du président sud-soudanais, Salva Kiir. Il a assuré les fidèles du soutien de son pays pour construire « leur nouvelle nation », qui deviendra le 193e pays officiellement reconnu dans le monde.
Les premiers résultats de ce scrutin historique devraient être rendus publics dans une dizaine de jours et les résultats définitifs le mois prochain. Si moins de 60% des électeurs sont allé votés, ce qui est très improbable, un nouveau vote devra être organisé dans quelques mois.