Le Mozambique est riche. Riche de 36 millions d'hectares de terres arables ; 46% du territoire sont propres à la culture. Le Mozambique produit du maïs, du manioc en excédent, du riz et du blé. Et pourtant début septembre, le pays n'a pas résisté aux fluctuations mondiales des prix. Deux jours d'émeutes, quatorze morts et deux mois plus tard, le Mozambique a toujours faim. Seuls 10% de ses terres sont exploitées.
Concessions étrangères
Depuis la fin de la guerre civile en 1992, le Mozambique a ouvert les bras aux investisseurs étrangers afin qu'ils aident le secteur agricole à se développer. Selon un récent rapport de la Banque mondiale, le pays a concédé environ 6,6 millions d'hectares à des États ou des compagnies étrangers entre 2004 et 2008.
Depuis 2009 l'île Maurice détient 23 500 hectares de terres mozambicaines. Elle y cultive du blé, des légumineuses, des oignons, de la pomme de terre, mais surtout du riz afin d'assurer sa sécurité alimentaire.
L'idée de ces concessions est d'augmenter de moitié la surface cultivable mozambicaine. Sur le papier la mathématique est imparable, dans les faits elle déraille.
Agrocarburants et argent facile
Assurer sa sécurité alimentaire coûte cher et rapporte peu. Le gouvernement mozambicain l'a bien compris et préfère se concentrer sur d'autres projets plus lucratifs. Il fait donc du « gringue » aux producteurs d'agrocarburants et concède la plupart de ses terres à la culture de jatropha ou de canne à sucre.
Aujourd'hui la firme canadienne Energem Ressources développe un projet de 60 000 hectares de culture de jatropha à Chilengue, dans la province de Gaza, au sud du pays. Trois ans plus tôt, l'entreprise britanico-sud-africaine Procana s'était engagée à investir plus de 500 millions de dollars américains dans la production de canne à sucre et sa transformation en carburant. Elle devait créer des milliers d'emplois sur environ 30 000 hectares. En décembre les autorités mozambicaines ont décrété l'accord nul et non avenu car l'entreprise aurait failli à ses engagements. Seuls 8 000 hectares ont été débroussaillés et pas un seul pied n'a été planté.
« Alors qu'il faut assurer la sécurité alimentaire du Mozambique en développant les cultures vivrières, on investit dans des superplantations pour faire des carburants dans lesquelles les Mozambicains n'ont rien à gagner. Elles ne serviront qu'aux pays développés », remarque Anabela Lemos, de l'ONG Justicia Ambiental. En 2009 un audit a démontré qu'un tiers des terres cédées étaient encore inexploitées.
Méconnaissance juridique
Depuis 1975 les terres mozambicaines sont nationalisées et appartiennent à l'État. Celui-ci concède aux investisseurs privés des baux pour 50 ans. Or 80% des 20 millions de Mozambicains sont des petits agriculteurs qui exploitent le lopin de terre de leur famille depuis des siècles sans jamais songer à demander le moindre papier.
Même si la législation mozambicaine impose que les entreprises privées obtiennent l'accord des communautés avant de s'implanter, les conflits sont fréquents. Les « graissages de pattes » encore plus. Un rapport publié en juin par l'ONG Les amis de la terre met en garde contre ces pratiques. Il pointe d'ailleurs le cas d'Energem qui, dans sa négociation pour les terres de Chilengue, aurait offert au regulo du village, le chef de la communauté, une somme confortable. « Le regulo de Chilengue a poussé la population du village à vendre ses terres à Energem Company en leur disant que la compagnie leur donnerait de l'argent et d'autres lopins de terre en échange », témoigne un habitant cité dans le rapport. A cela s'ajoute les promesses de construction d'écoles, d'hôpitaux, de puits... « Cela va faire deux ans maintenant et rien n'a été fait. Il n'y a que le puits qui a été installé mais il n'y a même pas de pompe pour faire remonter l'eau » ajoute un autre habitant.
« Il y a des irrégularités dans les processus de consultation », affirme Alda Salomao de l'ONG Centro Terra Viva. « Il faut améliorer la qualité des informations transmises. Mais il faut surtout permettre aux communautés de mieux connaître la législation et leurs possibilités d'action ».
Les paysans de Chilengue, privés de leurs terres, n'ont plus pour vivre que leur salaire mensuel de 60 dollars versé par Energem Biofuels. En 2009 le Sud du Mozambique, où se trouve le village, accusait un déficit de nourriture de 567 000 tonnes.