Avec notre correspondante à Johannesburg, Juliette Rengeval
Tim Couzens: La responsabilité était énorme. Elle m’a empêché de dormir, cela m’a presque gâché la vie. J’avais entre les mains les papiers personnels de l’homme le plus célèbre du monde, peut-être du 20e siècle.
Et il fallait rendre tout cela cohérent, en un laps de temps tellement court ! Il fallait trouver la bonne structure et j’étais terrifié à l’idée de me tromper. Je voulais que le livre soit facile à lire, mais en même temps, évidemment, il fallait une structure. Bien sûr, il y a une organisation chronologique, mais pas seulement.
Le livre est divisé en quatre parties et chacune comprend un certain nombre d’extraits issus de différents contextes qui se répondent les uns les autres. J’ai pensé à James Joyce en composant le livre, et également à Marc Aurèle, l’empereur romain du 2e siècle de notre ère. A cause du style et du contexte qui allait tellement bien avec Nelson Mandela. Les Pensées pour moi-même, de Marc Aurèle, ont vraiment servi de modèle à ce livre.
RFI : Que trouvera le lecteur dans ce livre ?
T.C: Ce livre est important parce que je crois que c’est la première fois qu’un livre est fait avec ses mots, sans aucune intervention. Des mots qu’il a écrit, souvent seul, et souvent pour lui-même.
C’est un mélange : des interviews faites dans les années quatre-vingt-dix par le journaliste Richard Stengel et par son ami et collègue Ahmed Kathrada pour l’écriture de son autobiographie, Un chemin vers la Liberté. Il restait beaucoup d’éléments non utilisés.
Et puis dans les années soixante-dix, il a gardé des calendriers en prison. Parfois il n’écrivait rien dessus, parfois juste un mot, et puis, de temps en temps, il y a écrit ses rêves. Je pense que c’est ce qu’il y a de plus intime, parce que je ne crois pas qu’il pensait qu’il serait jamais lu.
Enfin, il y a les lettres écrites en prison, à sa femme, à ses enfants. C’est très émouvant parce qu’il savait en écrivant ces lettres qu’il était « écouté » par les censeurs. Dans ces lettres il y a trois personnes impliquées : Mandela écrivant, la personne à qui il écrivait, et ceux qui écoutaient, l’Etat, et cela fait trembler, je trouve.
Ce qui est fascinant, c’est la variété des formes d’écritures qu’il a adopté. Dans Un long chemin vers la Liberté, la voix est celle d’un homme public, mais en écoutant les interviews, c’est une voix informelle, une voix familière comme si vous étiez dans la même pièce que lui, même si dans certains de ses écrits, même dans des lettres intimes, on voit qu’il écrivait pour un public plus large, pour le futur.
RFI : A la lecture des documents qui forment Conversations avec moi-même, quel homme semble être Nelson Mandela ?
T.C: J’ai passé ma vie à étudier des auteurs contemporains de Nelson Mandela, des hommes politiques, des penseurs, alors ce que j’ai découvert en consultant les documents qui forment ce livre ne m’a pas vraiment surpris
Ce n’est pas une figure isolée. Ce n’est pas un individu « spécial ». Il y avait d’autres personnes qui auraient pu devenir ce qu’il est devenu, seules les circonstances l’ont fait devenir celui qu’il est. Il a toujours été le premier à le dire.
Ceux qui sont venus avant lui, des journalistes, des personnes qui ont fondé les premiers mouvements politiques : beaucoup de ces gens étaient extraordinaires.
Je crois que c’est une erreur de le voir comme isolé. Il vient de tout un environnement. Beaucoup de ses écrits, de ce qu’il pense et de la façon dont il s’exprime, tout cela est assez familier. Il n’était pas particulièrement différent de ceux de son époque.