« Parcours des mondes » : la chasse aux Arts premiers à Paris

Paris s’affirme à nouveau comme la capitale mondiale des Arts premiers. La 9e édition du « Parcours des mondes » convoque entre le 8 et 12 septembre les connaisseurs et collectionneurs du monde entier. Un nombre record de 31 galeries françaises et 37 galeries étrangères rassemble dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés des chefs d’œuvre des arts tribaux d’Afrique, d’Océanie, des Amériques et d’Asie. Les pièces extraordinaires du plus grand rendez-vous spécialisé rivalisent avec le Musée du quai Branly à côté, sauf qu'ici, passion rime avec prix et argent. Et la question de la restitution des arts premiers reste on ne peut plus sensible.

Il flotte un air de soldes dans les rues du 6e arrondissement de Paris. Des pancartes trônent au-dessus des portes, il y a partout des affiches et les vitrines regorgent d’objets. Mais : attention, méfiez-vous, il n’y a pas d’étiquettes sur les objets désirés et les prix cachés reflètent la rareté des pièces. Une galerie lumineuse nous accueille rue des Beaux-arts. Chantal Dandrieu a habillé la salle tout en blanc et laisse les sculptures africaines exposées rayonner avec toutes leurs forces et couleurs : il y a les perles de verres sur la grande calebasse haute en couleur des Bamileke du Cameroun, le drapeau Asafo de Ghana qui illustre le proverbe akan : « Nos ennemis sont comme des poissons restés prisonniers dans le filet. », ou le troublant masque Ada Afikpo du Nigéria avec ses pigments naturels en rouge, noir et blanc. « Un objet de grande élégance » nous souffle Mme Dandrieu, pour lequel « nous demandons 45 000 euros. »

Un charmeur de serpent kunlun étranger

« Paris est le centre du monde pour l’art tribal » avance Antony Meyer, l’un des cofondateurs du Parcours des mondes. « Les clients viennent à Paris, parce que les marchands sont à Paris. » Des pièces sublimes nous attendent à tous les coins de la rue. Dans la galerie Alain le Gaillard se dresse un charmeur de serpent kunlun étranger. Une œuvre rare en terre cuite de la dynastie Tang. Chez Jean-Edouard Carlier vous pouvez dénicher une râpe à coco de l’Ile Wuvulu (ex île Matty) de Para-Micronésie. La galerie Arnoux vend un étonnant pot à pigment Ipu Wai ngharahu qui date du 18e siècle des Maori de Nouvelle-Zélande et à la galerie Arlette Gimaray vous pouvez vous équiper d’un ancien bouclier de guerre « reipi » de Papouasie Nouvelle-Guinée, dont le bois est incrusté de nombreuses pointes de flèches.

L’Italien Manfredi Pascassio était pendant 35 ans collectionneur d’art de l’Asie de Sud-est. Il y a un an et demi, il a ouvert sa galerie à Paris, installée dans un très ancien bâtiment rue Visconti. A l’entrée, une canne de chaman de l’ethnie Karo nous fait face. Chaque « étage » de la canne correspond à un sacrifice. Le prix ? « Enorme » selon Pascassio, sinon le galeriste reste muet sur l’aspect pécuniaire de cette pièce maîtresse de la très mystérieuse et cruelle culture Batak en provenance de l’Indonésie.

La tradition des masques eskimo en Europe

Si vous êtes tombé amoureux du masque des Inupiaq (Eskimo) « Point Hope » exposé par le musée Quai Branly, il y a un an, vous avez l’occasion de l’acheter chez son véritable propriétaire, Julien Flak. Un objet de culte en bois de cèdre, des cercles concentriques sculptés qui représentent un phoque et les différents mondes que le chaman visite lors de ses transes. Le prix devrait transformer aussi son acheteur : 60 000 euros. « Il y a une tradition de collectionner des masques eskimo en Europe, explique Julien Flak, notamment du fait des surréalistes qui étaient des immenses promoteurs des arts eskimo. » Pratiquement toutes les pièces de sa galerie sont sorties depuis 50 ou 100 ans de l’Alaska et viennent des collectionneurs d'Europe ou des Etats-Unis, mais : « Etonnamment, en Alaska on trouve encore quelques objets. C’est relié au réchauffement climatique. Le permafrost, la glace, fond, donc on arrive à creuser plus profond qu’on a jamais creusé, parce que les conditions climatiques le permettent. »

L'évolution du marché

L’afflux des galeristes et des collectionneurs au Parcours des mondes correspond aussi à une évolution du marché. Pendant l’année les acheteurs se font souvent rares, constate Françoise Barrier, l’organisatrice. « Certains marchands nous disent qu’ils font leur année à l’occasion du salon. » Selon Barrier le marché s’est spécialisé. « Sur le marché interviennent maintenant des figures de l’art contemporain ou de l’art moderne qui sont capable de pousser les prix très haut. On a des records de vente aux enchères qui se succèdent chaque année. On a aussi un public qui se renouvelle, qui devient de plus en plus international. Ce n’est plus un petit public spécialisé, d’amoureux, discret, des Arts premiers. Aujourd’hui les gens essaient. »

Bref, les collectionneurs des Arts premiers ne chassent plus dans les prairies et savanes, mais préfèrent aller à Paris, au quartier de Saint-Germain-des-Prés.

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