De passage à Paris au centre Wallonie-Bruxelles en mars dernier, à l'occasion d'une série d'évènements célébrant le cinquantenaire de l'indépendance de la République du Congo, le cinéaste Thierry Michel, nous a accordé un entretien au cours duquel il revient sur les nouveaux défis auxquels le Katanga a à faire face aujourd'hui.
RFI. : Le Katanga est-il une province à la solde des compagnies minières étrangères ?
Thierry Michel : Le Katanga aujourd’hui est une province qui va renaître de ses cendres parce que des capitaux arrivent des places boursières de Londres ou de Toronto, ou de la Chine, ou de l’Inde. Il y a un affrontement géopolitique entre les occidentaux et les pays asiatiques. Sans ces financements, le Katanga est de toute façon une province plus que déclinante, c’est une province moribonde. Et l’État congolais n’a absolument plus les moyens de reconstruire une infrastructure et une industrialisation, d’opérer cette nécessaire reconversion, cette nécessaire évolution industrielle du Katanga. Donc, dire qu’il est à la solde de… non ! Il est pris dans le maelström des vents de la mondialisation comme tous les pays le sont, d’ailleurs… sauf les pays qui sont les acteurs principaux de cette géopolitique du monde d’aujourd’hui comme les États-Unis et la Chine.
RFI : Comment se mesure la richesse de cette province congolaise ?
T.M. : La richesse se mesure par la prospection. Mais, ça on le sait depuis longtemps. Ca remonte avant même la colonisation, à l’époque de la conquête coloniale, où se sont d’ailleurs affrontées les missions anglaises et belges pour s’approprier ce territoire tellement riche en minerais qu’on l’appelle la Copper Belt, une partie est en Zambie.
RFI : On savait déjà que c’était une province riche...
T.M. : Oui, tout à fait. Des inspecteurs, des ingénieurs, des géologues étaient venus, avaient fait les carottages nécessaires, et puis on le voit ! Il y a, par exemple, des plantes qui ne poussent que là où il y a du cuivre. Donc on peut très vite saisir, juger la teneur etc. Depuis lors, une guerre économique s’est menée au Katanga. Sauf que la Belgique l’ayant gagné, et l’Angleterre pour la Zambie, chacun a géré son fond de commerce et a fait prospérer son industrialisation et ses profits pendant toutes ces années coloniales. A l’issue de la colonisation, la Belgique a cru pouvoir garder ce monopole économique, en favorisant d’ailleurs la sécession katangaise. Mal lui en a pris, puisque les Nations unies ont mené l’une des premières opérations violente, d’ailleurs radicale, pour tuer dans l’œuf ces velléités sécessionnistes. Les plans existent en Belgique, au musée royal d’Afrique. On a tous ces plans des géologistes qui, dans le détail, peut dire où sont les bons filons ou les moins bons, qui n’ont pas été exploités parfois. Mais les nouvelles recherches qui s’opèrent montrent que les ressources sont là. Cependant, il faut toujours se dire qu’en terrain minier, c’est une richesse qui n’est pas durable, qui ne dure, évidemment, que quelques décennies. Je viens de la Wallonie profonde en Belgique. Ma ville est Charleroi, que l’on appelle, la ville du Pays Noir, qui était une ville minière. Mon grand-père a travaillé toute sa vie au fond de la mine. On sait très bien que le déclin a été terrible, une fois que les vannes se sont taries. Le Katanga a une possibilité aujourd’hui de richesse, d’expansion, de développement pour quelques décennies. Mais dans quelques décennies, il restera des carrières, il restera des trous et des villages fantômes. Sauf si d’ici là, la richesse minière a permis de développer autre chose. Mais comme on constate un abandon quasi total de l’agriculture au Katanga, on a de quoi s’inquiéter un petit peu de la vision durable.
RFI : D’après les photos de votre livre, on voit que la terre a complètement été trouée. C’est un paysage totalement déformé.
T.M. : Le Katanga est grand comme la France, donc il reste quand même beaucoup de place à la nature. Mais le problème c’est que toute la terre est attribuée aujourd’hui. Selon certains rapports, la majorité du Katanga aurait été attribuée par le cadastre minier pour l’exploration ou pour l’exploitation minière et donc il reste, il resterait, semble-t-il, peu de place pour l’exploitation agricole. Ce qui est un déficit : aujourd’hui on importe des aliments, de la nourriture dans un pays qui pourrait être très riche d’un point de vue agricole, une province qui l’est très [riche. NDLR] et qui doit faire venir à prix cher sa survie alimentaire pour le moment. Ce qui n’est pas logique. Le gouverneur du Katanga est très conscient de cette question-là. Il impose d’ailleurs aux sociétés minières une obligation conjointe à l’exploitation minière de développer un secteur agricole dans ses activités. La province vient d’ailleurs de prendre des décisions de suspendre des contrats miniers, si n’est pas respectée cette obligation d’investissements dans l’agriculture. Cela dit, il [le gouverneur. NDLR] va se mettre à nouveau à dos la Banque mondiale et le Fonds monétaire international qui vont dire que «non, un contrat est un contrat. On ne peut pas ajouter des clauses à un contrat avec des obligations» comme il y a 2 ans et demi quand il avait demandé anticipativement aux sociétés minières des factures d’électricité pour permettre l’électrification des villages dans lesquels elles s’implantent. Il s’est fait taper sur les doigts par la Banque mondiale, par Washington qui est tout de suite intervenu au niveau du gouvernement central et qui a remis les choses à leur place.
RFI : Combien de sociétés minières travaillent au Katanga ?
T.M. : Difficile à dire. Même le gouverneur ne le sait pas. Je l’ai vu l’autre jour : il découvrait un document. Il disait : «mais c’est pas possible ! Voilà un Libanais que je connais à peine, il semblerait qu’il ait des dizaines…» Il avait calculé qu’il était déjà à plus de 50 sociétés minières ! Je pense que c’est des centaines de sociétés si ce n’est pas des milliers. Le cadastre a ces chiffres précis. Le gouverneur ne les a pas. Mais il va y avoir un phénomène de reconcentration. On a saucissonné, on a fractionné tout ce territoire minier en tellement de parcelles inexploitables, enfin, où l’économie n’était pas, enfin je pense que c’était purement spéculatif, que les gens ont acheté un petit terrain pour ne pas l’exploiter, pour le garder en réserve, pour attendre des temps meilleurs et pouvoir le revendre à des grandes sociétés major qui vont refusionner tout cela et créer un véritable empire.
RFI : L'exploitation au Katanga benéficie-t-elle au reste du Congo actuellement ?
T.M. : Le Congo a toujours eu comme manne principale la richesse du Katanga et les recettes fiscales que peut générer le Katanga. Il faut aussi que cela profite aux populations katangaises. Pour le moment, la situation est un peu difficile, dans le sens où les Katangais ont survécu aux années de disette, ces années où l’industrie s’était totalement écroulée. Ils ont survécu en se transformant en artisans miniers, en prenant une pelle et une pioche, en allant sur les concessions, anciennement de l’État, et aujourd’hui des multinationales, creuser un trou, une galerie, sortir quelques kilos dans un sac de jute et le revendre à des acheteurs de brut, de semi-raffiné, qui pour la plupart venaient de tous les coins du monde : pas mal de Chinois, de Libanais, enfin différentes nationalités. C’était une économie informelle, illégale, donc un peu mafieuse quelque part mais qui a permis la survie de dizaines de milliers, même plus que ça, certains disent quelques centaines de milliers de familles katangaises. Aujourd’hui, les règles de l’État et des contrats signés font que l’on chasse ces creuseurs artisanaux. Ce qui crée des tensions, des conflits, des violences sociales permanentes au Katanga. Tous ces gens se retrouvent tout d’un coup à la rue.
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Sur le site Globalize Solidarity, Les Contrats miniers en RDC, le hold up du siècle
Le Katanga attend son heure, article Jeune Afrique du 22/6/2010
Le Katanga se rappelle à Joseph Kabila (RFI 10/01/2006)
Le site de la Gécamines (avec l'estimation des réserves minières)
Le site du gouvernement du Katanga
Écoutez aussi notre "Trésor" des archives sonores, et la description de Elisabethville (Lubumbashi) par Jean-Albert Sorel, en 1953.