Le lot de guerres et de répressions qui rythment la vie de nombreux États africains depuis les indépendances a entraîné un cycle incessant de reconstruction et de réconciliation. Sortis exsangues de guerres souvent fratricides, les États doivent reconstruire les villages et les routes mais surtout, tenter de recréer une vie sociale brisée. Au strict processus judiciaire, long, coûteux, qui offre une vision manichéenne des conflits et présente le risque de susciter de nouveaux troubles politiques, nombre de pays ont préféré l’établissement de commissions vérité et réconciliation. Elles constituent un compromis entre paix civile et idéal de justice.
Chargées d’établir les faits, les commissions placent face à face victimes et bourreaux. Les premières se voient reconnaître le statut de victime, la possibilité d’exprimer leur peine, ou d’obtenir des compensations. Les seconds bénéficient souvent d’une amnistie en échange d’aveux complets et de repentir.
Entre 1974 et 2007, au moins 32 commissions vérités ont été créées dans 28 pays, dont beaucoup en Afrique et en Amérique latine. Des projets de commissions, suscités par la société civile, sont à l'étude comme en République démocratique du Congo (voir le blog de l'ASADHO, Association africaine de défense des droits de l'homme).
Pour l’archevêque sud-africain, Desmond Tutu, «cette troisième voie [celle du pardon] est en accord avec la vision du monde africaine.
Le modèle sud-africain
Ironie de l’histoire, la première commission vérité a été érigée par le sanguinaire dictateur ougandais, Idi Amin Dada, en 1974. Mais si nombre de commissions ont été mise en place en Amérique Latine et en Asie, la commission vérité et réconciliation sud-africaine, établie en 1994, constitue le modèle le plus abouti et marque un tournant. Il ne s’agit plus d’éviter les guerres, il s’agit cette fois d’un véritable engagement politique et moral.
Composée de 17 commissaires, présidée par Mgr Desmond Tutu, la commission s’est penchée sur les crimes commis entre 1960 et 1994, depuis le massacre de Sharpeville, jusqu’aux premières élections démocratiques. Pendant quatre ans, plus de 20 000 personnes ont été entendues et des auditions publiques ont été conduites dans 80 communautés.
La commission du Libéria déclarée «hostile à la paix»
Le modèle sud-africain a suscité des émules, sans toutefois recueillir de succès comparable. En marge de la création du tribunal spécial pour la Sierra Leone, érigé en 2001, chargé de juger les plus hauts responsables des crimes commis pendant plus de dix ans de guerre civile, Freetown établissait une commission vérité.
Le voisin libérien où aucun procès n’a été conduit, lui emboitait le pas en 2007. Dans leurs recommandations, les commissaires prévoyaient d’organiser des procès à l’encontre de huit chefs de guerre dont l’ex-président Charles Taylor. Ils recommandaient aussi que la présidente, Ellen Johnson Sirleaf, et plusieurs autres personnalités, soient écartées de la vie politique pour 30 ans. Les signataires de l’accord de paix de 2003 ont rejeté, en juillet 2009, les conclusions du pré-rapport, déclaré «hostile à la paix».
Le risque d’instrumentalisation politique
Établies après les guerres, en marge des processus de paix, le mandat et la composition de ces commissions reflète souvent le degré d’ouverture politique à ces initiatives, toujours risquées pour les dirigeants, de réconciliation nationale. Au Kenya, une première tentative avait échouée, en 1993, suite à l’élection de Daniel Arap Moi. Son successeur, Mwai Kibaki, décidait finalement d’ériger une commission chargé de faire la lumière sur les crimes économiques et les violations des droits de l’homme depuis l’indépendance, en 1963 et le 28 février, date de l'accord de partage du pouvoir. Cette période couvre les violences qui ont suivi les élections de décembre 2007. La loi a été adoptée en octobre 2008. Elle a commencé les auditions en janvier 2010. Elle doit rendre son rapport en décembre 2011.
La commission érigée au Maroc, en 2004, marque une nouvelle étape dans l’histoire des commissions. Elle est d’abord la première commission du monde arabo-musulman, mais aussi la commission du nouveau monde de l’après 11-Septembre. Les commissaires se sont penchés sur 43 ans de violations des droits de l’homme, disparitions et détentions arbitraires.
Pour le journaliste et chercheur, Pierre Hazan, cette commission, dont les travaux ont été bouclés fin 2007, est alors «la réponse du Palais à un triple défi qu’incarne la montée en puissance des mouvements islamistes».
Les frustrations à l’égard de l’Occident
Aucun travail de fond n’a été réalisé au sein d’une commission vérité sur la colonisation et l’esclavage. Et en 2001, la conférence de Durban, qui se transformera en débat délétère sur le conflit israélo-palestinien, signait l’échec des conférences mondiales contre le racisme, organisées par l’Unesco.
Selon Pierre Hazan, «la réunion restera comme la caisse de résonance de profondes frustrations à l’égard d’un Occident tenu pour responsable de l’injustice de l’ordre du monde, et de l’impossible fondation d’une culture commune de l’humanité.» Elle «a transformé une exigence légitime de vérité sur les crimes du passé en un tribunal de l’histoire, ou l’on ne peut être que victime ou bourreau».
L’objectif de la réconciliation et la promesse de tourner la page du passé reste entre les mains des victimes. Les commissions ne constituent qu’une étape. Le récit des victimes montre qu’il faut souvent plusieurs générations pour recréer une société brisée par les guerres.
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Ouvrages cités
-Juger la guerre, juger l’histoire, de Pierre Hazan, éditions PUF, septembre 2007.
-Il n’y a pas d’avenir sans pardon, de Desmond Tutu, éditions Albin Michel, avril 2000.