Le TPIY: une place encore à définir dans l’histoire

C’était une organisation inédite dans l’après-guerre froide, une institution créée en plein conflit, au cœur de l’Europe, avec déjà la mission d’en juger les criminels. Le TPIY, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, ferme ses portes à la fin du mois. Créé le 25 mai 1993 par la résolution 847 de l'ONU, il était présenté à l’époque comme la tentative la plus ambitieuse de juger des crimes de guerre depuis le procès de Nuremberg et la fin du régime nazi. Mais sur les trois buts du tribunal - établir les faits, rendre la justice et œuvrer à la réconciliation -, le bilan est contrasté.

Comme un symbole, l’ombre portée de l’immense violence de la guerre en ex-Yougoslavie, le dernier acte de ce tribunal s’achève avec une image terrible, celle d’un suicide en direct devant les caméras. Slobodan Praljak venait d’être condamné à 20 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, quand après avoir clamé devant les juges abasourdis « Praljak n’est pas un criminel ». L’ex-officier croate, ex-directeur de théâtre a eu ce geste spectaculaire : avaler une fiole de poison, avant de décéder quelques heures plus tard.

Alex whiting a été procureur de ce tribunal pendant 6 ans, il est aujourd’hui professeur de droit à Harvard. Ce geste, qui a fait le tour du monde pose aussi de graves questions sur la capacité du tribunal à assurer la sécurité d’un procès, est pour lui au fond le signe du poids des décisions du TPIY : « Ce que Slobodan Praljak a fait, a montré, c'est que ce tribunal était important, que pour des personnages comme ça, ces décisions comptaient. Au fond, il ne voulait pas être condamné, il ne pouvait pas vivre avec ce jugement. Ce geste montre que le jugement d’un tribunal comme le TPIY, ça n’est pas rien », assure Alex Whiting.

Slobodan Praljak a pourtant été enterré avec les honneurs en Croatie. L’aéroport de la capitale de ce pays membre de l’UE depuis quatre ans a par ailleurs été baptisé du nom de Franjo Tudjmann, l’ex-président jugé complice d'une entreprise d'épuration ethnique par le TPIY. Mais en Croatie comme en Serbie ou dans d'autres pays des Balkans, on est encore très loin de l’un des objectifs du tribunal à sa création : la réconciliation.

Alex Whitting admet : « Le tribunal a été et est toujours condamné, critiqué dans la région, et ça n’a pas beaucoup aidé à la réconciliation. Pour le moment au moins, c’est un échec. Dans la région, on voit le tribunal d’un point de vue politique : il y a toujours une question de "qui gagne, qui perd". On ne voit vraiment pas le tribunal comme une institution de droit. Bien sûr, il y a eu des problèmes, il y a eu des acquittements, des peines pas toujours compréhensibles, mais d’un autre point de vue, le conflit est encore très présent dans les mémoires et souvent ce tribunal est critiqué pour cette raison. »

Etablir les faits

Des plaies encore à vif, une histoire très proche… Pourtant, pour beaucoup de spécialistes, ce tribunal aura rempli un de ces objectifs majeurs : établir les faits. « Quand on regarde tous les jugements, ça permet de contrer l’image selon laquelle on serait en présence de conflits interethniques où tout le monde se serait entretué, explique Rafaëlle Maison, professeur de droit international à Paris Sud. Le tribunal, c’est son grand intérêt, s’est attaqué à un appareil militaire, policier et étatique puissant, celui de la Serbie. »

« Il a réussi, ajoute-t-elle, à restituer sous la forme d’une entreprise criminelle commune cette politique de purification ethnique qui visait à reconstituer une grande Serbie en en évacuant les populations indésirables : Bosniaques musulmans, Croates de Bosnie, Kosovars ou une partie de la population croate en Croatie. »

« Ça a quand même permis de rendre compte de l’agressivité, de la violence de cet appareil politico-militaire. On a une image de ce que fut cette purification ethnique. Par le siège de certaines villes, le siège de la capitale Sarajevo, par le viol systématique des femmes musulmanes, par le massacre de certaines populations, comme le massacre de Srebrenica qui a été qualifié d’acte de génocide. Tout ça me semble très important et restitué de manière vraiment précise. »

Long, lent et pas toujours efficace pour ses détracteurs, le tribunal aura aussi été le premier à inculper un chef d'État en exercice, le Serbe Slobodan Milosevic. L’une des décisions qui a contribué à crédibiliser, pour les partisans du TPIY, une idée qu’ils considèrent comme majeure : celle que tout criminel de guerre aura un jour à rendre des comptes.

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