Hommage aux tirailleurs sénégalais massacrés au bois d'Eraine

La Fédération nationale des anciens d’Outre-mer et anciens combattants des troupes de marine (FNAOM/ACTDM) a célébré la Journée du soldat d’Outre-mer le samedi 12 juin 2010 dans l’Oise (Nord-ouest de Paris). La FNAOM/ACTDM a choisi de rendre hommage aux tirailleurs des 16e et 24e régiment de tirailleurs sénégalais massacrés au bois d'Eraine par les Allemands, à l’issue des combats des 8, 9 et 10 juin 1940, ainsi qu’à huit de leurs chefs, officiers blancs abattus pour avoir exigé que leurs hommes soient traités comme des prisonniers de guerre. 

Le contexte de la Seconde Guerre mondiale

Au début du mois de juin 1940, la situation est dramatique en France. Les Allemands ont enfoncé les lignes françaises en moins de 5 semaines (Blietzkrieg). Les soldats anglais et français viennent de réembarquer en catastrophe à Dunkerque. Des milliers de personnes sont sur les routes pour fuir l'avancée allemande.

La Bataille de la Somme débute le 5 juin 1940, à 5h du matin. Les divisions de choc des Panzers (chars d'assaut allemands) sont lancées. Les combats sont rudes et les Français ne peuvent contenir l'ennemi.

Les 8 et 9 juin 1940, les survivants des 16e et 24e régiments de tirailleurs sénégalais se battent très durement à Angivilliers, où ils perdent 118 hommes entre combats et massacres des Africains, et à Lieuvillers.

Se sachant cernés, ils tentent de continuer leur mouvement vers le sud dans l’intention de traverser l’Oise à Pont Sainte-Maxence. Après avoir réussi à progresser sur Erquinvillers, ils subissent des pertes très lourdes puis sont finalement fait prisonniers. Ceux qui sont Africains sont massacrés.

Un nombre important de survivants est resté à Angivillers pour tenter de s’y réorganiser avant de repartir vers le sud pour une nouvelle tentative. Les hommes sont épuisés, aussi les départs ne commencent-ils que le 9 juin vers 23h et il reste encore de nombreux soldats sur place à 1h du matin.

À 5h du matin nouvel assaut des Allemands, nouveaux combats et nouveaux massacres. Les 16e et 24e RTS n’existent plus en tant qu’unités constituées.
Deux petits détachements, d’une soixantaine d'hommes au maximum, ont réussi à contourner par l’est les lignes allemandes.

Les circonstances du massacre

Les témoignages au sujet du mouvement des deux détachements diffèrent, certains faisant état d’un départ groupé d’Angivillers le 9 juin à 23h. Selon d’autres, le premier, du 16e RTS, commandé par le capitaine Speckel faisant fonction de chef de bataillon, aurait quitté Erquinvillers le 9 juin aux environs de 19h. Le second du 24e RTS commandé par le chef de bataillon Bouquet, aurait bien quitté Angivillers vers 23h. La progression de jour étant marquée par les avions d’observation ennemis et des bombardements immédiats, les deux détachements ont fait jonction en se camouflant au bois d’Éraine, à 3km au sud de Cressoncsacq, y ont passé le reste de la nuit du 9 au 10 et la journée du 10 juin.

Mais le 10 juin à 19h, un des hommes ayant commis l’imprudence de se montrer pour se procurer de l’eau, les Allemands cernent le bois.

L’aspirant Méchet fait un mouvement de résistance, il est immédiatement abattu. La résistance cesse, les prisonniers africains sont transférés à la ferme d’Éloge au sud du bois. Les Allemands commencent à fusiller les Africains.

Le chef de bataillon Bouquet s’indigne, ses protestations sont relayées en allemand par le capitaine Speckel, alsacien, face à un gradé allemand inflexible qui trouvent naturel de fusiller ces «sauvages» qui ont tué nombre de ses propres hommes. Le dialogue s’envenime… Ces officiers sont alors emmenés en lisière nord du bois à 1km de là avec les six autres officiers de leur groupe : le capitaine Ris, les lieutenants Roux, Erminy, Planchon, Brocard (de la CAB du 16e RTS) et le sous-lieutenant Rotelle. Ils y seront exécutés d’une balle dans la tête, puis sommairement inhumés sur place.

Les sous-officiers et les hommes de troupe européens sont épargnés, enfermés dans une étable de la ferme d’Éloge et transférés le lendemain 11 juin vers Breteuil en tant que prisonniers de guerre traités conformément aux conventions de Genève.

Tous les Africains sont exécutés au sud du bois d’Éraine et laissés sans sépulture. Le nombre de soldats tués n'a pas été clarifié. Un témoin a évoqué 64 tirailleurs*.

Donner une sépulture

En 1941, Valère Guizelin, un agriculteur de la région, ayant entendu parler d’un massacre, se rend sur place et découvre les huit corps plus ceux de deux Africains, Aka Tano et Faya Leno sans doute chargés de creuser la fosse commune avant d’être exécutés à leur tour et d’y être enterrés. Les habitants de Cressonsacq les exhument et les enterrent dans le cimetière du village. Une cérémonie a lieu en 1947, puis c’est l’oubli jusqu’à ce qu’un neveu d’Aka Tano ne vienne d’Afrique sur place pour retrouver la tombe de son parent.

Entre temps les corps ont été transférés à la nécropole nationale de Cambronne-les-Ribecourt créée en 1950 pour regrouper les exhumés de l’Eure, de l’Oise, de la Seine Maritime et de la Somme (2 025 corps pour la guerre 1939-1945 et 128 pour la guerre de 1914-1918).

Le neveu d’Aka Tano y retrouva son oncle, avec l’aide de Jacques Potelle, maire de Cressonsacq. Ce dernier, enseignant en retraite, s’efforça dès lors de tirer ce drame de l’oubli.

Une stèle, élevée en 1992, commémore le souvenir du massacre du bois d'Eraine.

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  *Sacrifier sa vie pour sauver ses tirailleurs. Décembre 2009 (document pdf sur les recherches documentaires du colonel Dutailly et une tentative d'établissement du nombre de victimes du massacre).

À lire : Hitler's African victims: the German army massacres of Black French soldiers in 1940. Rafael SCHECK. (Cambridge University Press, 2006)

 

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