Bijoutier de Nice: la page Facebook qui sème le trouble

Elle aurait pu passer de manière discrète sur le Web, cette page de soutien au bijoutier de Nice. Il s’agit d’une page communautaire partagée sur Facebook, comme tant d’autres. Mais celle-ci, en franchissant la barre du million de fans en peu de jours, est devenue la source de beaucoup de commentaires voire de malentendus…

La page Facebook de soutien au bijoutier de Nice semble avoir atteint son apogée avec 1,6 million de fans à ce jour. Il s’agit donc de 1 600 000 personnes qui ont cliqué sur le bouton « j’aime » de cette page communautaire qui soutient le geste désespéré d’un bijoutier. Rappelons que ce bijoutier a abattu d’une balle dans le dos un voleur qui prenait la fuite à l’arrière d’un scooter. Beaucoup se sont émus devant ce chiffre, assez étonnant, pour une page créée depuis moins d’une semaine. Les accusations de faux « like » ont fusé durant le week-end, tant ce chiffre qui ressemblait à un « soutien » semblait délirant. Elles ont été balayées rapidement. Car il s’agirait bien de vrais gens qui ont cliqué sur cette page. Mais cela veut dire quoi ? Quel sens donner à tous ces « like » ?

« Liker » a une charge cognitive nulle

Selon Olivier Ertzscheid, maître de conférences à la Roche-sur-Yon en sciences de l’information, on peut parler d’un « engagement light ». « Le fait de cliquer sur un article, au bas d’une pétition ou sur une page Facebook nous désengage d’une vraie réflexion qu’oblige une discussion avec des proches ou l’écriture. Tout le modèle de la viralité dans Facebook, c’est justement de faire en sorte que les gens rédigent le moins possible et se contentent de faire circuler des contenus », a-t-il expliqué à l’AFP. « Cette action de " liker " a une charge cognitive qui est nulle. » On cliquerait donc sans réfléchir ? Rhoooo...

Aux « like » sur les chatons, combien d’allergiques aux poils de chat ?

On suppose ainsi qu’ils sont surement très nombreux les allergiques aux poils de chat qui ont cliqué sur les objets les plus viraux du web : les photos de chaton. Atchoum ! Quant aux milliers de partages de vidéos des frasques de Nabila ? Un phénomène de société à base de « Non, mais Allo quoi !? » A vos souhaits ! Il faut savoir lire la Toile et encore plus les réseaux sociaux. Les politiques ou les journalistes découvrent-ils le Web ou l’instrumentalisent-ils selon leurs goûts respectifs ? C’est selon… Car des haters (des internautes qui ont fait profession de dire du mal de tout) qui soutiennent un acte criminel, il y en a beaucoup sur Internet et les réseaux sociaux.

Le créateur de la page est « extrêmement surpris par cet engouement »

Contacté par L'Express, l'administrateur de la fameuse page s'est finalement et sobrement expliqué. « Je tiens simplement à préciser que je suis un citoyen anonyme, simple étudiant, qui n'est affilié à aucun parti politique. » Mais pourquoi donc, alors, avoir créé cette page, lui a-t-il été demandé ? « Par sensibilité à ce fait divers », explique-t-il. Il se dit d’ailleurs « extrêmement surpris par cet engouement » en précisant qu'il espère que « cela ne servira pas de récupération à un quelconque parti politique. Ce n'est pas une création du Front national ni d'aucun autre parti politique. »

Cliquer est moins engageant que d’aller voter

Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop, reste sceptique quant au véritable degré d’engagement véhiculé par ces mobilisations numériques. Si la page de soutien au bijoutier est « vraiment un acte fort », cela reste « beaucoup moins engageant que d’aller voter ou de descendre dans la rue », explique-t-il. Le plus gênant serait donc la récupération à des fins politiques de contenu sans réel sens glané sur les réseaux sociaux. Pour une pétition officielle, c’est sur le site Change.org que cela peut se passer. Benjamin des Gachons, directeur des campagnes France de la plateforme Change.org, sait que le taux de conversion du clic vers un engagement dans la vraie vie est certes « difficile à quantifier ». Mais selon lui, ces pétitions, quel que soit le nombre de signatures, peuvent jouer le rôle de « lanceur d’alerte », d’« accélérateur » ou de « caisse de résonance ».

Les risques de « dérive populiste » de cette vindicte numérique

Mais on parle bien de pétition. Alors que sur la page Facebook de soutien au bijoutier on est dans le coup de cœur, le clic intempestif. Et on sait depuis longtemps que la Toile est une source de réactions plus ou moins drôles, où le 15e degré peut côtoyer sans vergogne le bas de plafond voire l’esprit de contradiction systématique. Dans son billet « Combien de likes pour rétablir la peine de mort ? », M. Ertzscheid explique d’ailleurs que dans trois exemples de pages Facebook qui ont dépassé le million de fans en peu de temps, le « like »s'était appuyé sur une logique d'empathie distante, désincarnée, désengagée. Il met en garde néanmoins face au risque de « dérive populiste » que ce type de vindicte numérique pourrait avoir. Avec un « vrai impact » sur le processus de décision politique ?

 

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