A Kaliningrad, un Mondial 2018 aussi politique que sportif?

A Kaliningrad, la Coupe du monde 2018 de football débute ce 16 juin avec le match Croatie-Nigeria. Dans cette petite enclave coincée entre la Pologne et la Lituanie, le tournoi semble revêtir une importance presqu’aussi politique que sportive. Explications.

De notre envoyé spécial à Kaliningrad,

« Et pourquoi on ne serait pas content d’avoir la Coupe du monde, ici ? C’est la Russie aussi ! » Oleg, 23 ans, garde les yeux rivés sur l’écran géant qui diffuse le match d’ouverture du Mondial 2018 de football entre les sélections russe et saoudienne (5-0), ce 14 juin à Kaliningrad.

Dans ce territoire deux fois plus petit que la Belgique ou le Lesotho, coincé entre la Pologne et la Lituanie, la compétition est accueillie avec un enthousiasme poli et une certaine candeur.

Non-loin de cette enclave russe qui compte 1 million d’habitants, il règne pourtant une tout autre ambiance. Depuis le 3 juin, quelque 18 000 soldats de 19 pays, principalement membres de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan), participent à la version 2018 de l’opération Saber Strike, pilotée par l'armée américaine.

Une région qui cristallise les tensions

Ce déploiement est un des plus importants en Europe pour les forces américaines depuis la fin de la guerre froide. Il est perçu à Moscou comme une menace directe envers la région où se trouve le seul port russe sur la Baltique qui ne gèle pas en hiver.

Kaliningrad, réputé pour sa production ambre, cristallise régulièrement les tensions en Europe orientale depuis plus de 60 ans. Fondée en 1255 par un ordre militaire chrétien – les Chevaliers teutoniques – l'ex-Königsberg a été une cité germanique, prussienne et/ou allemande jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1945, l’URSS a reçu de l’Allemagne vaincue ce territoire en guise de compensation pour tous ceux soviétiques ravagés par la Wehrmacht.

«C'est un symbole»

Depuis, la ville où est né et mort le philosophe Emmanuel Kant est considérée comme le symbole d’une Russie forte. Y disputer des matches du Mondial 2018 est donc interprété comme un énième geste politique, même si Sergueï Yevstigneyev s’en défend. « Nous avons la mer et de beaux paysages, rétorque le chef de l’Agence de communications et des mass media de la région. Et Kaliningrad fait partie de la Russie ». Il sourit : « Nous espérons évidemment que les gens vont revenir ici, et pas seulement pour la Coupe du monde. »

Frank Tétart, enseignant et analyste en relations internationales spécialiste, synthétise : « C'est un symbole: montrer que la Russie est souveraine sur l'enclave malgré son enclavement au sein de l'Union européenne et montrer aussi aux habitants que la Russie y investit y compris pour des événements majeurs à portée mondiale comme la Coupe du monde de football. » Il ajoute : « L'idée est de montrer aux habitants que ce territoire est bel et bien russe et que la Russie y investit, et pas seulement les occidentaux, car l'ambition de Moscou était d'en faire "un Hong Kong de la Baltique" avec le développement d'une zone économique spéciale. Le constructeur BMW, et KIA y assemblent des voitures destinées au marché russe et ex-soviétique. »

Une ville de football ?

Sur le plan footballistique, Kaliningrad est très loin d’être une place forte. Le club local, le FC Baltika, évolue en 2e division et n’a jamais remporté de titre majeur. Il n’a fréquenté l’élite que quelques saisons au milieu des années 1990. Pourtant, Senin Hyacinthe Sebai, qui a défendu ses couleurs en 2017-2018, ne tarit pas d’éloges.

« A Kaliningrad, j’ai vécu une saison fantastique, assure l’Ivoirien. Il y a de beaux endroits à visiter. Mais ce qui est encore plus génial, c’est que beaucoup de personnes aiment vraiment le football là-bas ». L’attaquant poursuit : « Là-bas, on jouait nos matches à guichets fermés. A chaque fois, les supporters critiquaient, donnaient leur avis après les matches ou t’envoyaient des textos d’encouragement. Tu sens que les gens là-bas sont passionnés. »

Un effet Coupe du monde ?

A partir de la saison prochaine, la formation créée en 1954 disputera ses rencontres dans le stade flambant neuf construit pour la Coupe du monde 2018. 239 millions d’euros (une estimation basse) auraient été engloutis dans cette zone marécageuse pour faire émerger la Baltika Arena. Un écrin de 35 000 places dont Senin Hyacinthe Sebai a d’ailleurs été le tout premier buteur, en avril 2018. « Le nouveau stade va encore propulser le football, là-bas, jure celui qui évolue désormais au FK Tambov (2e division russe). Pour moi, ça n’est vraiment pas une surprise que Kaliningrad ait été choisi pour la Coupe du monde ».

Le nouvel antre du FC Baltika ne sera peut-être pas le seul leg de ce Mondial. D’après une étude de l’agence financière américaine Moody’s, Kaliningrad devrait en effet être la seule zone bénéficiant vraiment d'un effet Coupe du monde, avec celle de Saransk.

Coupe du monde 2018: le calendrier des matches et classements des équipes

Partager :