De notre correspondant à Johannesburg,
Ellis Park explose pour Siya Kolisi. Pendant l’annonce des compositions d’équipes, ce ne sont pas seulement des applaudissements mais un frisson qui traverse le stade. Bongani est l’un des rares supporters noirs dans les travées. « C’est un jour historique, très important. C’est un jour comme celui où Mandela a soulevé la Coupe du monde en 1995. Donc ça nous rappelle cet esprit arc-en-ciel. C’est historique. C’est un changement qui va dans la bonne direction. Et, dans 10 ans, lorsque l’on sera là, il y aura eu encore plus de progrès. »
Car 23 ans auparavant, dans ce même stade d’Ellis Park, les Springboks entraient dans l’histoire, remportant la Coupe du monde, qu’avait soulevée Nelson Mandela et le capitaine de l’époque, l’Afrikaner François Pienaar. Etalo et Ilio étaient dans ces mêmes tribunes en 1995. Le père et le fils sont revenus pour cet autre jour historique. « Cela a été long d’avoir un premier capitaine noir, et un capitaine noir qui est le meilleur à sa position et qui est respecté par toute l’équipe, estime le fils Ilio. C’est un grand jour pour notre rugby bien sûr. »
Son père n’en pense pas moins : « Il va avoir une grande influence pour unifier les Sud-Africains. C’est la meilleure chose qui pouvait nous arriver depuis longtemps. Car ne pas avoir de capitaine noir auparavant était un boulet que traînait l’Afrique du Sud. Et Kolisi est capitaine non pas parce qu’il est noir mais car c’est un très bon joueur. »
Relancer le projet de nation arc-en-ciel
L’Angleterre aurait pu gâcher la fête, profitant d’une entame de match catastrophique des Sud-Africains. Mais les Boks avaient décidément un supplément d’âme samedi soir et, emmenés par Siya Kolisi, ils ont inversé la tendance.
Alors un premier joueur noir capitaine des Springboks, cela signifie-t-il un réel changement d’époque, dans un sport dominé par la minorité blanche et qui peine à représenter la société sud-africaine d’aujourd’hui ? Thuthuzeli Scott est commentateur en langue Xhosa : « Nous avons toujours l’espoir qu’un jour, un vrai changement arrivera. Et lorsque l’on regarde la composition de l’équipe d’aujourd’hui, c’est équilibré, c’est quasiment moitié-moitié. Ce que nous voulons par-dessus tout, c’est que celui qui porte ce maillot vert et or doit le mériter. Ce ne doit pas être la couleur de ta peau qui doit déterminer ton appartenance à l’équipe. Et notre nouvel entraineur Rassie Erasmus essaye par tous les moyens d’unifier le rugby. »
La vraie inégalité se situerait au niveau de la formation des joueurs dès le plus jeune âge, selon Amigo Ngcakane, un ami de Siya Kolisi. « Le rugby sud-africain a encore beaucoup de travail pour changer. Tous les joueurs noirs de haut niveau viennent des écoles de blancs, c’est leur seul moyen pour pouvoir vraiment percer. Mais tous les écoliers noirs n’ont pas ce privilège. » L’an prochain, les Springboks devront adopter des nouveaux quotas, avec une équipe à moitié blanche et à moitié de couleur. Des quotas décriés aussi bien par les joueurs blancs que les joueurs métisses et noirs, pour qui c’est le mérite qui doit primer. Siya Kolisi en est finalement le parfait exemple, lui le nouveau leader des Springboks dont la nomination en tant que capitaine était une évidence sportive avant d’être une décision politique.