De notre envoyé spécial à Aigle (Suisse),
Une petite ville au milieu de nulle part et neuf mille habitants. Nous sommes à Aigle, à quelques encablures du Lac Léman, entouré des Préalpes. Un cadre idyllique pour ne penser qu’au vélo. Là, chaque année, une centaine de jeunes coureurs cyclistes du monde entier apprennent leur métier.
Christopher Froome, le meilleur ambassadeur du Centre mondial
C’est ici que Christopher Froome, venu du Kenya, et vainqueur du Tour de France 2013, a aiguisé son appétit de victoires. Depuis 2002, ils sont soixante-deux coureurs africains à être passés dans ce lieu. Parmi eux, plusieurs ont pu signer un contrat professionnel, comme par exemple les Erythréens Daniel Teklehaimanot, Merhawi Kudus, l’Algérien Youcef Reguigui ou encore le Sud-Africain Jacques Janse Van Rensburg.
Avec un budget annuel de 2 800 000 euros, le Centre Mondial du Cyclisme sous l'égide de l'Union Cycliste Internationale (UCI) donne une chance aux coureurs des pays émergents. Ancien professionnel, à la barre de cette institution, Jean-Jacques Henry explique : « Ici, on commence par identifier le talent des coureurs ». Il n’est pas rare qu’un jeune arrive en se disant qu’il ne sera jamais bon en montagne. Mais c’est au Centre mondial de s’assurer qu’il ne passe pas à côté de ses capacités. Exemple : l’Argentin Eduardo Sepulveda qui prétendait être seulement performant sur le plat. Mais au vu de son gabarit, Jean-Jacques Henry était persuadé qu’il pourrait s'en sortir dans les vingt-et-un lacets de l'Alpe d'Huez. « Certes ce n’est pas un pur grimpeur, mais il est capable de suivre en montagne pour défendre un maillot de leader ».
Certaines fois, le Centre mondial peut récupérer des athlètes sous-entraînés et il faut du temps pour évaluer leur potentiel. Avant d’observer leurs qualités, il faut d’abord les entraîner correctement pour déterminer leur profil. Dans un coin de la salle de repos, un Panaméen de 20 ans, fraîchement débarqué, nous confie « rêver » à la même carrière que celle de son idole : l’Espagnol Alberto Contador.
Détecter les talents de demain
Les jeunes coureurs n’arrivent pas à Aigle par hasard. Partout dans le monde, l’UCI a des émissaires qui ont la tâche d’aller détecter des individus sur les courses amateurs. Parfois, ce sont les fédérations nationales qui font des propositions. Il y a aussi des stages d’identification de talents. En 2014, cinquante coureurs juniors ont été accueillis dans un centre en Argentine. Cinq d’entre eux ont ensuite intégré le Centre mondial.
« Je suis heureux d’être ici. J’ai tout ce qu’il me faut pour ne penser qu’au cyclisme. Je travaille dur, mais je veux y arriver. J’espère que ce passage à Aigle va me donner la possibilité de devenir professionnel », raconte le Rwandais Valens Ndayisenga, le vainqueur en titre du Tour du Rwanda. Le garçon sait que c’est la chance de sa vie et il n’a pas l’intention de passer à côté. « C’est un très bon grimpeur, mais il a des lacunes techniques en descente. Au début, il était systématiquement lâché dans les courses. Il avait peur et ne savait pas comment gérer. Il n’avait surtout pas beaucoup de pratique à des vitesses élevées. Au niveau international chez les moins de 23 ans, on atteint facilement les 80 km/h », explique Jean-Jacques Henry. Valens Ndayisenga apprend aussi à se positionner dans le peloton. Lorsque l’on est grimpeur, on doit aborder le pied de la montée à l’avant du groupe. « Conserver sa place en tête est une bataille permanente et cela s’apprend », confie le coach. En six mois, un jeune du Centre mondial peut avoir 50 jours de compétition à son calendrier. Un avantage quand on sait que dans certains « petits pays » du cyclisme, il n’y a pratiquement pas la possibilité de faire de la compétition pour accumuler de l’expérience.
Tout est dans le détail !
Mais au Centre mondial, il n’y pas que les entraînements qui font partie de l’apprentissage. Chaque coureur doit prendre soin de son matériel. Il doit au minimum faire les réparations basiques comme changer une chaîne, réparer sa roue et nettoyer sa machine. Les qualités physiques ne suffisent pas. Il faut prendre aussi soin de sa santé. Il n’est pas rare de voir un coureur avec de gros problèmes dentaires. D’autres s’alimentent mal.
« On leur apprend à manger en posant les couverts entre chaque bouchée. Certains ont maigri juste avec ça ! », explique Jean-Jacques Henry. « On doit leur faire prendre conscience qu’ils ont une Ferrari entre les mains et qu'il faut qu’ils sachent s’en servir ». Selon l'entraîneur, aujourd’hui, le plus gros potentiel se trouve en Érythrée. La chance de ce pays d’Afrique de l’Est, c’est l’héritage de la culture du cyclisme du temps de la colonie italienne qui en fait actuellement le sport numéro 1. « Ils ont des capacités physiques hors du commun avec une possibilité de récupération incroyable, similaire à ce que l’on trouve en athlétisme dans les marathons avec le Kenya et l’Éthiopie. Le cyclisme demande les mêmes qualités que la course de fond ». D’ailleurs l’Éthiopien Tsgabu Grmay Gebremaryam qui évolue actuellement dans l’équipe italienne Lampre est passé par Aigle. Il y a séjourné deux années. En mai dernier, il découvrait les routes du Tour d'Italie.
« Si on parle d’un sport désormais mondialisé, il faut que tous les continents soient représentés. Le Centre mondial est important pour les pays qui n’ont pas de structure, contrairement à la France, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, avance Dave Brailsford, le manager de Christopher Froome et de l’équipe Sky. Cela donne une opportunité formidable. C’est grâce à eux que Christopher Froome est venu en Europe. Ce sont des gens sérieux et selon moi il faudra que ce soit encore plus important. La famille du cyclisme doit adhérer à ce genre de projet pour aider ceux qui ont moins de chance de passer professionnel dans leur pays ». Coureur cycliste est un métier où l’on doit se gérer souvent seul. À Aigle, on apprend à voler de ses propres ailes.