« La première chose que j’ai ressentie, c’est un gros soulagement. » Au bout du fil, vingt-quatre heures après avoir obtenu son premier titre de championne du monde de judo (- de 63 kg) en battant l’Israélienne Yarden Gerbi en finale, la Française Clarisse Agbegnenou ne parle donc pas de joie, ni de bonheur, mais de « soulagement ». « Pour moi, c’était impossible de perdre, assène-t-elle. Je me suis tellement motivée à me dire que j’allais gagner que finalement j’ai réussi à le faire. Je ne voulais pas revivre la même défaite que l’an dernier donc j’étais encore plus à fond. »
Une championne précoce
Il y a un an, Agbegnenou avait affronté en finale la même adversaire, mais les choses ne s’étaient pas passées de la même façon. Au bon d’une poignée de seconde, Gerbi l’avait battue sur ippon avec un étranglement à la limite de l’illicite qui l’avait presque fait s’évanouir. Une défaite frustrante. « J’ai continué à travailler pendant un an, notamment pour être plus agressive, et sur d’autres petites choses, retrace-t-elle. Quand j’ai vu que c’était la même adversaire en finale, je me suis dit que c’était bien. Les deux meilleures mondiales étaient à nouveau en finale, j’ai vu ça comme une revanche, on verrait bien qui était vraiment la meilleure. » Clarisse n’a que 21 ans mais pour elle, sa défaite en finale en 2013 était tout de même une perte de temps.
Et elle n’a jamais aimé perdre son temps. En 2009, elle gagne déjà son premier titre de championne de France alors qu’elle est encore une Junior, avant de s’offrir une médaille de bronze européenne en 2012 avant même ses vingt ans. Elle sera bien vite suivie par deux médailles d’or continentales, en 2013 et 2014, qui la placent déjà au firmament de sa catégorie de poids. « Je ne sais pas comment expliquer cette précocité, avoue-t-elle. J’ai commencé le judo à neuf ans, alors que beaucoup de judokas commencent dès trois ou quatre ans. Peut-être que j’avais un petit talent que j’ai su exploiter en m’entraînant beaucoup. » Le « petit talent » est un euphémisme. Cette sportive dans l’âme pratique alors la danse, l’athlétisme et aussi le volley, et combat essentiellement des garçons : « Au judo, il y a beaucoup de garçons et peu de filles, donc on n’a pas le choix. »
De Lomé à Rio
Seule fille au milieu de trois frères, elle apprend aussi bien vite à ne pas se laisser marcher sur les pieds. « Il fallait lutter pour s’imposer, explique-t-elle. On ne se battait pas beaucoup, non, mais c’était la guerre pour avoir la télécommande, pour obtenir des choses… » Clarisse a grandi en région parisienne mais est née à Rennes, de deux parents nés au Togo. Sa mère est comptable, et son père un grand scientifique togolais. « J’allais tous les ans au Togo quand j’étais petite mais maintenant avec le judo je n’ai plus le temps, déplore-t-elle. Je prends des nouvelles de ma famille par mes parents. Ma mère vient d’Atakpamé et mon père d’un autre village dont je ne me souviens plus le nom. Nous allions plutôt chez mon oncle, à Lomé. »
Loin de son pays d’origine, le regard de Clarisse Agbegnenou se tourne maintenant vers le Brésil et Rio de Janeiro, où se dérouleront les Jeux olympiques en 2016. Ses premiers JO et, espère-t-elle, sa première médaille d’or. De toute façon, Clarisse n’a pas le temps d’attendre 2020. Dans un article du journal L’Equipe en avril dernier, sa maman expliquait que sa fille, ne voulant pas abandonner le judo alors que ses parents ne pouvaient plus aller la chercher à la fin de l’entraînement, lui avait dit qu’elle rentrerait seule sur la pointe des pieds pour se faire passer pour une plus grande et ne pas se faire agresser. « Non, je n’ai jamais fait ça, rit-elle aujourd’hui. Je rentrais en rollers, ça allait plus vite. Je n’aime pas marcher. » Clarisse Agbegnenou préfère courir.