Barber Gé a un don. Et il le dit « sans aucune prétention de [sa] part ». Donnez-lui une tondeuse et il fait de votre crâne une œuvre d’art. Une réputation qui a fait de lui « le coiffeur des footballeurs ». Barber Gé – Gérald Davery dans le civil – est ainsi devenu le coiffeur attitré de l’attaquant gabonais du Borussia Dortmund Pierre-Emerick Aubameyang et du milieu camerounais du FC Barcelone Alexandre Song. Une vingtaine de joueurs du championnat de France font aussi régulièrement appel à ses services. Et aux dires de Barber Gé, qu’ils aient des goûts excentriques ou plus classiques, tous expriment la même volonté : celle de se démarquer.
Le début de l’individualisation
Tout commence dans les années 1970. Sur les terrains de football, les joueurs aux coupes uniformes et bien dégagées autour des oreilles de la décennie précédente dribblent désormais cheveux au vent. En France, c’est la grande époque des Verts de Dominique Rocheteau. En Allemagne, celle du Bayern Munich de Franz Beckenbauer. Pour l’ethnologue Christian Bromberger, auteur de Trichologiques : une anthropologie du cheveu et des poils, c’est le début de l’individualisation :
« Dans les années 1960, le nom des joueurs n’apparaît pas. Il n’y a que le maillot de l’équipe. On n’observe pas de singularité capillaire non plus. C’est à partir des années 1970, et ça ne cesse de se confirmer par la suite, que l’individu prend de l’importance sur le collectif. Le joueur ne se confond plus dans son équipe.
Cela correspond à un phénomène plus général où l’individu se définit moins en fonction de sa classe sociale ou de sa communauté que de ses projets personnels. Il se présente en tant que maître de son propre destin. Et la coupe de cheveux est bien pratique pour exprimer cette volonté de se singulariser. Le poil peut être modifié sans trop de conséquences. Ce n’est pas comme se couper un doigt. »
Avec les années 1990 vient la mode de la coupe « mulet » – court sur les côtés et long derrière. Ses meilleurs représentants sont Chris Waddle en Angleterre, Tony Vairelles en France et MacGyver à la télévision. Au Mondial 2010, certains tenteront de la remettre au goût du jour, comme le Portugais Cristiano Ronaldo ou l’Allemand Marin Marko.
Mais dans les années 2000, le besoin de singularité devient général. Chacun tente alors de développer son propre style. « Jamais les équipes n’ont présenté une plus grande diversité capillaire qu’aujourd’hui », constate en 2005 l’ethnologue Christian Bromberger dans un article. Neuf ans plus tard, la tendance semble avoir atteint son paroxysme. Lors du premier tour de ce Mondial 2014, on a pu ainsi voir les afros du Belge Marouane Fellaini et du Camerounais Benoît Assou-Ekoto côtoyer les crêtes de l’Italien Mario Balotelli et du Portugais Raul Mereiles, les mini-tresses blondes du Français Bacary Sagna et les dreadlocks de l’Américain Kyle Beckerman. Pour le plus grand bonheur des médias, comme ici ou là.
« Attirer le regard sur les performances »
Le phénomène est unique dans l’univers des sports collectifs. Pour Christian Bromberger, cette particularité s’explique par le caractère universel du football. « La visibilité des joueurs est beaucoup plus grande et la volonté de se singulariser plus importante par conséquent », analyse-t-il. Dans un billet publié sur Rue89, l’ancien milieu de terrain du Paris Saint-Germain Edouard Cissé confirme : « Dans un univers aussi médiatisé que le foot, les footeux veulent se démarquer, avoir un côté unique. Il faut un petit déclic pour attirer le regard sur ses performances. Avant, c’était la couleur des crampons, mais il y en a maintenant de toutes les couleurs. Donc aujourd’hui, ce sont les cheveux. »
Cette volonté de se distinguer est à la hauteur des enjeux financiers. Pour un footballeur, dans un sport où les transferts peuvent s’élever jusqu’à plusieurs dizaines de millions d’euros, se faire remarquer est un bon moyen de décrocher un contrat juteux. Ou de taper dans l’œil des sponsors. A l’issue de la Coupe du monde 2002, le fabriquant de rasoirs Gillette aurait ainsi fait une offre alléchante au Brésilien Ronaldo pour qu’il rase son étrange coiffure en demi-lune avec un produit de la marque.
Mais ces excentricités capillaires ne sont pas forcément du goût de tous. La coupe de samouraï que Zlatan Ibrahimovic arborait en octobre 2011 lorsqu’il évoluait encore au Milan AC lui aurait valu les critiques de son propriétaire gominé, Silvio Berlusconi. La même année, la crête blonde du Brésilien Neymar aurait carrément fait capoter son transfert du FC Santos au Real Madrid. Selon le président du club brésilien, l’entraîneur du Real, José Mourinho, n’en voulait pas. Preuve que la carrière d’un footballeur ne tient parfois qu’à un cheveu.