Nelson Mandela, ou le «miracle» de la réconciliation en Afrique du Sud

Reconciliation : Mandela’s Miracle constitue l’un des moments forts du 4e Cape Winelands Film Festival (Festival du film des vignobles du Cap). Le documentaire américain de 88 minutes retrace le processus de réconciliation entre Noirs et Blancs dans un pays autrefois soumis au régime d'Apartheid. Notre envoyé spécial a rencontré sa productrice, Carole J. Wilson, qui n'est autre que l'épouse du réalisateur du film, Michael Henry Wilson. Tous deux militent de longue date pour les droits de l’homme. Entretien.

RFI : Carole J. Wilson, l’idée d’un documentaire sur Nelson Mandela vous a été inspirée par le guide spirituel tibétain, le Dalaï Lama. Racontez-nous.

Carole J. Wilson : C’est exact. Michael Henry Wilson, mon époux, a réalisé en 1997 le film documentaire In Search of Kundun, une chronique sur le drame tibétain. En août 1999, nous avons décidé de nous rendre à Dharamsala [dans le nord de l’Inde] pour interviewer le Dalaï Lama. Nous avons été reçus en audience privée par sa Sainteté à qui nous avons présenté le film. Nous avons parlé de l’esprit de réconciliation, un thème très cher au Dalaï Lama. Nous lui avions fait part de notre intention de tourner un documentaire sur ce sujet, avec des témoignages de lauréats du prix Nobel de la Paix. « Les premières personnes que vous devez rencontrer sont Nelson Mandela et l’archevêque Desmond Tutu », nous avait-il aussitôt suggéré. Et de préciser : « Rappelez-vous que tout a commencé là-bas, en Afrique du Sud, avec Gandhi ». Mais ensuite nous n’avions jamais pu mettre sur pied le projet... Jusqu’au jour où Michael Henry Wilson, ami de longue date de Clint Eastwood, a appris que le réalisateur américain voulait tourner le film Invictus*, sur Nelson Mandela. Nous avons exposé notre projet à Clint Eastwood. D’emblée, il a été d’accord pour s’exprimer dans notre film.

Au printemps 2009, nous sommes allés en Afrique du Sud au moment où Clint Eastwood tournait Invictus. Nous avons ainsi pu nous entretenir avec l’ex-président sud-africain Frederik Willem de Klerk, Mgr Desmond Tutu, Zinzile [la fille de Nelson Mandela], mais pas avec Mandela en personne. Etant très âgé et pas vraiment en bonne santé, il s'était déjà retiré de la vie publique. En plus des diverses personnalités, nous avons également interviewé les victimes de l'Apartheid. Toutes ces personnes qui apparaissent dans le film nous ont livré leur vision sur ce qu'elles appelaient, et qu’elles appellent encore « le miracle de Mandela » , à savoir le passage d’un régime d’Apartheid à l’instauration d’une démocratie. Autrefois considéré comme un « terroriste », Nelson Mandela a sauvé l’Afrique du Sud d’une guerre civile grâce à cet esprit de réconciliation.

RFI : Votre film traite du processus de réconciliation tout en soulignant le pouvoir du dialogue entre les hommes clés de l'époque et le pouvoir du pardon. Expliquez-nous.

C.J.W. : Tout à fait. La réconciliation se déroule en plusieurs étapes. Elle requiert la tolérance mutuelle, la reconnaissance des droits fondamentaux, comme le droit de vote pour les Noirs ou la mise en place d'une société non basée sur des principes raciaux. Quant au pardon, il relève de la compassion, de ce que l'être humain a de plus profond en lui. Toutefois, je dois vous avouer que je ne suis pas une experte en la matière. Beaucoup de gens que nous avons interviewés en Afrique du Sud nous ont dit que « la réconciliation doit absolument se faire, mais le pardon, lui, relève d'une démarche personnelle, il ne peut pas être dicté par un Etat ». D’ailleurs, « mon seul péché est que je ne peux pas pardonner au policier qui a tué mon fils », nous a confié à ce sujet l’une des mères de victimes.

RFI : « L’oppresseur devient un partenaire ». Cette phrase forte est aussi le titre d'un des chapitres de votre film...

C.J.W. : Oui. L’oppresseur est lui-même oppressé. L’oppresseur est habité par la peur, la haine. L’ancien président sud-africain Frederik Willem de Klerk a eu une vision fort intéressante. Son père avait fondé le Parti nationaliste. Il a baigné dans l’Apartheid. En décidant de démanteler le système, Frederik de Willem de Klerk avait compris, comme il le déclarait lui-même, que « personne ne peut quitter la table des négociations avec au final un vainqueur et un vaincu. Ce doit être du gagnant-gagnant ». Et comme l'a très bien rappelé dans le film l'ancienne maire du Cap-Occidental, Helen Zille, « Mandela a dû faire la paix avant que son camp ne remporte la victoire, et de Klerk avant que les siens ne la perdent ».

RFI : Où en est la réconciliation en Afrique du Sud aujourd’hui ?

C.J.W. : La promesse d’une nouvelle Afrique du Sud n’a été tenue que partiellement vingt ans après les faits. Nous en sommes conscients. Mais dans le même temps, il n’y avait pas de bases économiques solides pour assurer une réelle transition. La pauvreté reste un énorme problème. La réconciliation économique n’est toujours pas au rendez-vous. Il y a une classe moyenne au sein de la population noire d’Afrique du Sud, certes, mais force est de constater que les Noirs forment toujours la majorité des pauvres. Il reste encore beaucoup de progrès à faire en ce sens, mais ce progrès ne peut pas s’accomplir sans la solidarité entre les gens.

Entretien réalisé au Cape Winelands Film Festival par Kèoprasith Souvannavong

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