RFI : Quels sont, selon vous, les pays où vos actions ont permis des réussites concrètes ?
Alain Mérieux : « Réussites », le terme est fort. On est très heureux et efficaces dans un pays depuis vingt ans, en Haïti. Nous avons un laboratoire, des orphelinats, le microcrédit et ça marche très bien dans un pays ravagé aujourd’hui par l'insécurité et la violence. C’est un pays que j’aime beaucoup et où mon fils Rodolphe, décédé dans un crash d’avion en 1996, a travaillé. Nous avons bien réussi au Mali. À Bamako, nous avons un très beau laboratoire : nous avons installé un P3 pour travailler sur les diagnostics de la tuberculose.
Le Mali, un pays troublé, particulièrement en ce moment...
Le contexte est difficile en ce moment, mais nous avons créé deux maternités à Bamako. Npus travaillons avec [Xavier] Emmanuelli sur le Samu social pour les enfants des rues à Bamako. Donc là, nous faisons ce que nous pouvons. Nous savons très bien qu’on ne peut pas remplacer l’État mais s’il n’y avait pas eu l’intervention française, je fais cette parenthèse, le Mali serait la Somalie aujourd’hui, c’est-à-dire qu’il n’y aurait plus d’État. Donc, je pense que ce qu’ont fait la France et le président Hollande, à l’époque, était un acte de grand courage et de vision.
Avec un contexte de sentiment anti-français...
Il ne faut pas exagérer, parce que nous avons la chance de travailler dans un métier qui est celui de la santé publique, de la lutte contre les maladies infectieuses où il n’y a jamais eu ni de barrière géographique ni de barrière entre les différentes religions. C’est la chance de notre métier : traverser tout cela et sublimer un peu les problèmes, ce qui n’empêche pas d’être concrètement confrontés à eux. Et c’est vrai que ce sont des pays où j’allais très tranquille il y a dix ans et où je ne peux plus vagabonder. J’y vais avec une protection rapprochée, parce que ce sont des pays qui sont devenus très dangereux.
Depuis quelques mois, vous travaillez notamment contre le virus Ebola en Afrique. Quelles sont vos dernières initiatives ?
Pour Ebola, nous travaillons avec ce qu’on sait faire, c’est-à-dire le diagnostic. Et il s’avère que chaque année, nous donnons à l’Institut de France un grand prix qui porte le nom de Christophe, décédé en 2006, remis à un scientifique des pays en voie de développement. Et nous l’avons donné en 2015 au professeur [Jean-Jacques] Muyembe Tamfum, qui est l’homme qui a été chargé par le président de la République démocratique du Congo de lutter contre le virus Ebola qui sévit au Kivu. Le professeur Muyembe nous a demandé notre aide et on lui a envoyé, avec un Antonov, trois conteneurs, dont un frigo, un P2 et un P3 pour pouvoir travailler sur Ebola. Nous l'avons envoyé à Kigali, il s’est posé au Rwanda et puis là, il est passé par la route de la montagne au Kivu, à Goma. L’installation demande plus de temps que prévu, mais c’est un laboratoire qui sera sécurisé non seulement du point de vue biologique, mais également du point de vue de la sécurité physique.
Quand est-il possible de lutter contre ces épidémies qui sont si difficiles à combattre dans certaines zones ?
Quand un pays est structuré en santé publique, comme c’est le cas de la Chine aujourd’hui. Les gens la critiquent beaucoup, mais la Chine fait tout ce qu’elle peut et tout ce qu’il faut avec transparence pour lutter contre le nouveau coronavirus. Mais plusieurs pays, comme les pays africains, n’ont absolument pas la capacité chinoise de faire face. Donc, le gros danger, c’est que cette épidémie ou d’autres épidémies frappent des pays qui ne sont pas préparés. Et c’est pour cela qu’il faut avoir des laboratoires Sentinelles sur place, comme dans le temps pour l’Institut Pasteur. Ils permettent de faire des diagnostics aussi bien de la peste, qui est revenue à Madagascar, comme d’Ebola, comme du chikungunya, comme de Zika, comme du HIV, de la tuberculose qui revient en force, de la malaria… Quand on a le diagnostic, on a déjà fait un gros pas en avant. Ensuite, il faut traiter. Quand on le peut, vacciner de façon préventive. Mais sans diagnostic dans ces pays, la médecine est aveugle.
Vous trouvez qu’il devrait y avoir une réflexion internationale au niveau des dirigeants pour justement mieux financer le diagnostic, mieux l’organiser ?
Oui. Mais je dois reconnaître qu’aujourd’hui, les choses ont un peu changé. Nous travaillons, par exemple, très fortement avec l’Agence française de développement qui nous a beaucoup aidés pour travailler au Mali, pour s’étendre sur ce qu’on appelle les 7 pays voisins Resaolab, le Réseau d’Afrique de l’Ouest des laboratoires d’analyses biologiques. Nous avons monté des laboratoires, nous avons travaillé avec les ministères de la Santé locaux. Il y a toujours un partenariat. Tous nos collaborateurs, qui sont sur le terrain, sont soit Africains soit Libanais, soit Haïtiens. Nous travaillons toujours en parfaite symbiose et collaboration avec les autorités de santé locales. Par exemple à Goma, nous avons travaillé avec l’Usaid, l'Agence des États-Unis pour le développement international. En Asie, nous travaillons avec des Australiens. On travaille avec le fonds Fleming (Fleming Fund UK) et avec beaucoup d’organisations internationales. Nous avons compris que seuls, nous ne pouvions rien faire et qu’il faut travailler en réseau, motivés par les problèmes de santé publique. Je suis optimiste, parce qu’il y a une prise de conscience forte au niveau mondial.
Vous pensez que ce virus venu de Chine peut justement apporter à cette prise de conscience mondiale ?
Toute crise a des effets dramatiques, mais aussi des effets positifs. Nous l'avons vu avec Ebola, il y a une mobilisation considérable qui s’est faite. Par exemple, les Japonais ont donné deux laboratoires P3 qui sont actuellement à Kinshasa. Nous, nous offrons [un laboratoire] avec l’Usaid à Goma. C’est une approche totalement mondiale. Je dirais que nous avons appris d’Ebola, que nous apprenons du coronavirus, et que nous apprendrons d’autres épidémies. Chaque fois, c’est une course de vitesse entre le réservoir de virus ou de pathogènes qui est toujours au sein de l’animal, avant de passer aux mammifères et ensuite à l’homme. C’est toujours la voie classique. Donc, c’est une chaîne qui demande aujourd’hui une approche « One Health » – une seule santé – où rentrent en ligne de compte non seulement la médecine, le diagnostic, mais aussi la sécurité physique, le logement, l’alimentation, et surtout l’éducation. Donc, c’est une bataille globale qui se fait à un niveau planétaire et qui ne peut se faire qu’avec une vision à long terme, une vision de partage et de générosité.