Jean-Baptiste Placca: c’est une analyse bien généreuse, mais, pourquoi pas ? Il n’empêche. Si Donald Trump n’avait été sur d’autres fronts, plus préoccupants pour sa réélection, sans doute aurait-il tweeté quelques piques perfides en direction des États africains qui traitent tout aussi cruellement leurs peuples, leurs frères de même couleur de peau, avec une police brutale, une gendarmerie répressive et, parfois même, une armée violente, en toute illégalité. Quelle crédibilité a-t-on à décrier à Genève les policiers qui tuent des Noirs à Atlanta ou à Minneapolis, si, la semaine d’après, l’on fait soi-même tirer, à bout portant, sur des manifestants pacifiques dans telle ou telle capitale d’Afrique ? Quelle bonne conscience a-t-on à indexer l’Amérique, lorsqu’au même moment, à l’abri des regards, dans les cachots des commissariats et autres lieux secrets de détention, l’Etat fait torturer à mort des citoyens revendiquant leurs droits ?
Dans ces conditions, l’Afrique n’aurait donc plus qu’à se taire, et fonder sa crédibilité sur la lutte pour déboulonner les statues et débaptiser certains lieux…
Se taire, surtout pas ! Mais, pour porter valablement la défense des Noirs aux Etats-Unis ou ailleurs, l’Afrique doit traiter ses propres populations avec dignité et respect. Pour ce qui est des monuments érigés dans les pays africains par le pouvoir colonial, les gouvernements n’ont qu’à le décider pour qu’en toute indépendance, ils soient ôtés de la vue des descendants des peuples opprimés. Mais ces noms se doivent de rester quelque part, pour que les générations futures ne les croisent pas, sans savoir ce que leurs ancêtres doivent de souffrances à ces personnages. Dans tel ou tel pays d’Afrique, certaines de ces statues ont été déplacées dans l’enceinte de l’ambassade de l’ancien colonisateur. Ce qui demeure choquant, pour les nationaux qui s’y rendent. Le plus dur, c’est dans les anciennes métropoles, où les Africains de la diaspora doivent non seulement constater que l’histoire a été violente avec leurs aïeux, mais que l’environnement géographique leur impose de subir, à intervalles réguliers, le regard de pierre des bourreaux desdits aïeux. Mais, que devrait-on ôter de leur vue ? Les traces de bourreaux sont partout : dans les statues conquérantes, comme dans les noms, stylisés, des rues, et même dans la pierre, avec les figurines sculptées au fronton ou sur les murs de certains immeubles, représentant les victimes soumises, qui sont autant de trésors de chasse. S’il fallait tout raser, certaines villes de France, de Grande-Bretagne, de Belgique, du Portugal, d’Espagne ou de Hollande devraient être totalement mises en chantier, et un plan Marshall ne suffirait pas à tout remettre au goût du jour, dans nombre de ces pays qui ont prospéré sur le commerce triangulaire et sur la colonisation, donc sur l’exploitation des Noirs, donc, sur une forme ou une autre de racisme.
Comment effacer une partie de l’Histoire, vue d’en face ?
L’enjeu, réaliste, pour les peuples africains et leur diaspora, devrait être d’opposer une masse critique de chefs d’œuvre littéraires, musicaux, cinématographiques, brefs, artistiques, de les opposer à l’Histoire, sous sa forme actuelle, qui n’est que l’agaçant monologue du vainqueur d’hier.