C’est l’éternelle question qui se pose à tout média : en fait-on trop ou pas assez ? Sur cette question, il y a autant d’avis qu’il y a de spécialistes. Mais aujourd’hui, il apparaît clairement qu’il y a eu trois temps dans la couverture de l’épidémie devenue pandémie. Premier temps, c’est la découverte du foyer de l’épidémie à Wuhan, les mesures de confinement de la Chine puis la façon dont le virus se répand en Corée du Sud, en Italie ou en Iran. Là, selon Eric Giuily, ancien président de l’AFP et patron de l’agence Clai, le ton était « un peu anxiogène tant qu’il n’était pas en France ». Même si l’Italie toute proche est durement touchée, la maladie semble encore loin.
Puis, l’arrivée du virus et surtout le premier mort en France incite les médias à la prudence. Surtout ne pas créer de panique, informer les Français avec sang-froid, ne pas montrer les malades dans les hôpitaux, rappeler que le virus est très contagieux mais qu’on en meurt très peu, 1 ou 2% pas plus, qu’il faut des « projections de salive » pour être infecté…
Pourtant, tout va changer mercredi sur LCI. Là, après le passage du ministre de la Santé, le professeur Eric Caumes, spécialiste des maladies infectieuses à la Pitié-Salpêtrière, tire la sonnette d’alarme. « Nous sommes très préoccupés, dit-il, on est tous persuadés qu’il va se reproduire un scénario à l’italienne ». Autrement dit un territoire qu’il faut entièrement confiner et surtout un système hospitalier complètement débordé, qui doit faire le choix de renoncer à certains malades pour réserver les capacités d’assistance respiratoire à d’autres. Il dit aussi que le virus circule énormément par les enfants et qu’il y a des « super-contaminateurs » qui peuvent infecter des dizaines de personnes.
Les projections amènent à dix, quinze millions de personnes touchées en France. Même à 1% de létalité, cela donne la perspective de 150 000 morts. On comprend alors que le sujet est très grave et que les médias, sans doute pour ne pas précipiter une crise économique majeure en plus d’une crise sanitaire, ont un peu sous-estimé la pandémie. Jeudi soir, 19 millions de Français suivent l’allocution du président annonçant la fermeture des écoles. Vendredi, un article du Parisien titre « c’est bien plus grave que prévu », au vu notamment de cas de malades plus jeunes dans un état très grave. En oubliant peut-être une seule chose : c’est ce que le professeur Caumes appelle lui-même un biais d’observation : c’est bien d’interroger les hôpitaux sur les cas qu’ils voient arriver, à condition de ne pas en déduire l’état de santé du pays. Sinon, c’est la panique assurée.