A priori non, même si les tensions n’ont cessé d’augmenter ces derniers jours entre Ankara d’un côté, Damas et Moscou de l’autre. Le président Erdogan est allé jusqu’à menacer d’intervenir militairement contre l’armée syrienne à Idleb.
On est donc passé à deux doigts d’un affrontement, mais pour l’instant, heureusement, les choses semblent se calmer.
Le président turc est coincé entre le fait de ne pas rompre totalement avec Moscou et le besoin d’affirmer ses objectifs dans la région. Il avait cru parvenir à un « gentlemen agreement » avec Moscou en septembre 2018 lors de la signature des accords de Sotchi, qui prévoyaient la mise en place de zones de désescalade dans ce nord-ouest syrien – c’est-à-dire qui préservait une zone d’influence turque, avec les affidés d’Ankara sur place, les rebelles et quelques jihadistes équipés et nourris par la Turquie. Or ces accords ont volé en éclats. Et le président turc a eu le sentiment que Moscou jouait un double-jeu, privilégiant de fait son allié syrien tout en essayant de ne pas trop mécontenter son allié turc.
Il a donc tenté la manière forte, sans succès jusqu’ici, et c’est pourquoi il essaie à présent la carte de l’apaisement. Il explique qu’il ne veut pas d’un affrontement avec Moscou, et demande des actions concrètes à la France et l’Allemagne, sans doute pour améliorer le sort des presque un million de civils qui ont dû quitter leurs habitations en catastrophe et se trouvent regroupés dans des camps de fortune, à la frontière turco-syrienne.
Pour comprendre comment on en est arrivé à cette impasse, il faut rappeler les intérêts des trois principaux acteurs en question – Syrie, Turquie et Russie.
Pour Damas, l’objectif est très clair : reconquérir la totalité de son territoire, et engranger une victoire finale contre les rebelles et les jihadistes, presque neuf ans après le début de la guerre civile en Syrie.
Vladimir Poutine lui, veut s’appuyer sur Bachar el-Assad pour couronner son influence retrouvée en Syrie et au Proche Orient. Pour, aussi, préserver ses intérêts directs en Syrie, sa présence sur le port de Tartous, qui garantit un accès russe à la Méditerranée.
Quant à Recep Teyyip Erdogan, lui aussi, il poursuit plusieurs objectifs. D’abord, sécuriser sa frontière avec la Syrie. Il l’a fait au Nord-Est syrien, en faisant reculer les forces kurdes plus avant en territoire syrien. Il veut le faire au nord-ouest. D’autant que son deuxième objectif est d’empêcher un nouvel afflux de réfugiés sur son sol – la Turquie ayant déjà accueilli près de quatre millions de personnes chez elle. Enfin, Erdogan veut empêcher Assad de redevenir tout puissant, et il veut jouer un rôle dans l’avenir politique de la Syrie, une fois le conflit terminé.
Les victimes impuissantes de ces intérêts imbriqués, ce sont donc les centaines de milliers de civils qui paient au prix lourd les ambitions et les calculs cyniques de chacune de ces puissances. Ils attendent désespérément un geste d’humanité qui leur permettrait de connaître un peu de paix et de sérénité, hors de cet enfer d’Idleb. C’est le maximum que l’on peut souhaiter, au point où on en est arrivé.