Que s'est-il passé à bord de l'Airbus A321 de la Metrojet russe, qui s'est écrasé samedi dernier dans le Sinaï ? Aucune hypothèse ne ressort à ce stade de l'enquête, a encore déclaré ce samedi matin le ministère égyptien des Affaires étrangères, sous-entendant ainsi que la piste de l'attentat n'était pas plus valable qu'une autre. Le Caire reproche aux « pays étrangers » de ne pas lui faire partager les informations de leurs services de renseignement en la matière.
Et pourtant, l'analyse des deux boîtes noires, croisée avec des relevés effectués sur les lieux du crash, permettrait désormais d'étayer les renseignements obtenus par les Occidentaux, pour « privilégier fortement » l'hypothèse d'un attentat à la bombe, selon une source proche du dossier citée par l'Agence France-Presse vendredi. Le décryptage des enregistreurs de données de vol et des voix dans le cockpit a en effet révélé que « tout était normal » jusqu'à la 24e minute du vol. Les boîtes noires ont alors brutalement cessé de fonctionner sans explication.
Le phénomène est symptomatique d'une « très soudaine dépressurisation explosive », commente la même source, qui ajoute : « L'hypothèse d'une explosion avec pour origine une défaillance technique, un incendie ou autre, apparaît hautement improbable. » D'autant que pour rappel, le groupe Etat islamique a revendiqué le crash, sans pour autant communiquer son modus operandi. Alors, pourquoi l'Egypte se montre-t-elle si prudente ?
Le gouvernement égyptien très critiqué
Le ministre de l’Aviation a annoncé une conférence de presse ce samedi soir pour faire un point sur l’enquête. Jusqu’à présent, le ministre distillait les informations au compte-gouttes. Comme le rapporte notre correspondant au Caire, Alexandre Buccianti, si le gouvernement avait réagi assez rapidement lorsque l’avion russe s’est écrasé dans le Sinaï, il n’a en revanche pas mesuré la gravité de l’événement, surtout après la revendication lancée par la branche égyptienne du groupe EI.
Par exemple, il n’a pas immédiatement décrété de mesures de sécurité exceptionnelles à l’aéroport de Charm el-Cheikh, sous prétexte de ne pas affoler les touristes. Par ailleurs, le ministère des Affaires étrangères n’a pas vraiment communiqué via ses missions diplomatiques ou avec les médias internationaux, et le président Sissi ne s’est pas rendu à Charm el-Cheikh pour rassurer, même symboliquement. Enfin, il n’y a pas eu de vraie coordination avec les services de renseignement occidentaux en ce qui concerne les informations sur la piste terroriste, comme le confirme l'Egypte ce samedi.
Maintenant que les Britanniques et les Russes ont décidé de rapatrier leurs ressortissants, le gouvernement ne réagit toujours pas. Il pourrait pourtant décupler les moyens disponibles à l’aéroport de Charm el-Cheikh pour faciliter les départs. Au lieu de quoi, la télévision officielle a indiqué que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi avait appelé son homologue russe Vladimir Poutine et qu'ils avaient « convenu du rétablissement des vols russes vers l’Egypte dès que possible ».
De la colère perceptible dans la population égyptienne
Le gouvernement semble en fait impuissant face à la crise sans précédent qui menace désormais l'industrie du tourisme égyptien, d'une importance capitale pour l'économie du pays. Une impuissance qui lui vaut des critiques croissantes de la part d’hommes politiques égyptiens eux-mêmes. Le ministre des Affaires étrangères est particulièrement sur la sellette et les réseaux sociaux sont en ébullition. Car si les responsables restent encore timides, l’opinion publique, elle, se lâche sur Internet, où les réactions sont beaucoup plus violentes et où l’on évoque même l'idée d'un complot.
« L’Egypte est la cible de la pire guerre économique de son histoire », écrit ainsi un journaliste sur Twitter. L’ennemi, c’est évidemment l’Occident, qui, « après avoir échoué à mettre l’Egypte à genoux politiquement et militairement, s’en prend à elle par le biais du tourisme », peut-on encore lire. Les appels au boycott des produits de « l’ex-occupant » anglais se sont multipliés. Et les réseaux sociaux se font aussi l’écho d’une campagne invitant les Egyptiens à se rendre eux-mêmes à la station balnéaire de Charm el-Cheikh pour sauver le tourisme.
Mesures de sécurité renforcées au Moyen-Orient
Les Etats-Unis viennent de demander à certains aéroports du Moyen-Orient de renforcer les mesures de sécurité pour les vols en direction des Etats-Unis, rapporte notre correspondant à Washington, Jean-Louis Pourtet. Le ministre américain de la Sécurité intérieure, Jeh Johnson, a dit que ces mesures étaient prises à titre de précaution.
Elles ne concernent qu'une dizaine d'aéroports, en majorité situés au Moyen-Orient, sur les 275 avec lesquels l'Agence américaine de la sécurité des transports, la TSA, collabore pour prévenir les attentats terroristes. Les passagers à destination des Etats-Unis à bord de vols partant d'aéroports tels que Le Caire, Koweït City ou Amman doivent s'attendre à une inspection plus rigoureuse de leurs bagages et de leur personne. Tout objet embarqué fera l'objet d'un contrôle.
Comme les Etats-Unis ne peuvent envoyer leurs propres inspecteurs à travers le monde, ils doivent compter sur la compétence de leurs homologues étrangers. Le ministre américain a noté que les nouvelles mesures de renforcement concernant la sécurité venaient s'ajouter à celles mises en place l'an dernier pour certains aéroports et dont beaucoup avaient été déjà adoptées par les Européens. Ces mesures seront évaluées en permanence au fur et à mesure que l'enquête sur le crash progressera, a encore dit Jeh Johnson, afin de pouvoir effectuer tous les changements appropriés.