Sur la place Tahrir, l'annonce de la démission du Premier ministre Adel Abdel Mahdi est vécue comme une victoire. Ou plutôt comme un pas vers la victoire. Sur ce lieu devenu l'épicentre de la contestation depuis deux mois à Bagdad, les manifestants se félicitent de ce tournant politique et le présentent comme une conséquence directe à leur combat.
« J'espère maintenant que tout le gouvernement va démissionner et que le Parlement va être reconstitué, avec des gens de confiance, pas des voleurs, pas des gens qui s’en mettent plein les poches », réagit Amna, 22 ans, au micro de notre correspondante à Bagdad, Lucile Wassermann.
« Nous demandons le départ de tout le gouvernement »
Aucun manifestant ne perd de vue les demandes initiales du mouvement, qui ne visent pas la chute du gouvernement, mais « la chute du régime tout entier ». « Nous demandons le départ de tout le gouvernement, on va continuer à se mobiliser jusqu’à ce que tout le Parlement démissionne, tous les députés, et qu’il y ait une nouvelle commission pour d’autres élections », promet ainsi Ali, 33 ans, installé sous une tente.
Cette annonce de démission à venir n'a donc pas réellement changé l'ambiance sur la place Tahrir. Les manifestants continuent d'exprimer leur colère contre l'ensemble des hommes politiques en Irak et disent vouloir rester mobiliser jusqu'à qu'ils obtiennent la fin de ce système politique.
Ceux qui étaient présents sur la place Tahrir au moment de l'annonce du Premier ministre ne savent d'ailleurs plus très bien s'ils éclataient de joie pour cette démission ou pour la victoire de leur équipe de football, largement soutenue dans le pays. Les manifestants préfèrent donc garder ici la tête froide, et restent même très prudents quant à ces dernières déclarations, rappelant régulièrement que sa démission n'a pas encore été acceptée par le Parlement.
Poursuite des manifestations et blocages
Les manifestations et les blocages de routes se sont donc poursuivis ce samedi à Bagdad et dans le Sud. À Nassiriya, ville d'origine du Premier ministre meurtrie par les violences, des milliers de manifestants sont ainsi descendus dans la rue pour réclamer « la chute du régime ». Une épaisse fumée noire s'élevait au-dessus des ponts enjambant l'Euphrate dans la ville qui borde les ruines de l'antique Ur après que des manifestants ont brûlé des pneus. De nouveaux affrontements ont fait au moins 25 blessés, selon des médecins.
Jeudi et vendredi, à Nassiriya et dans la ville sainte chiite de Najaf, également dans le Sud, 67 personnes ont été tuées par des tirs des forces de l'ordre et d'hommes en civils défendant, selon des témoins, le siège d'un parti. Depuis le 1er octobre et le début de la contestation contre une classe politique jugée incompétente et corrompue et la déliquescence des services publics notamment, plus de 420 Irakiens en majorité des manifestants ont été tués et des milliers blessés dans les violences, selon un bilan compilé par l'AFP de sources médicales et policières.
Le mouvement de contestation a reçu vendredi un soutien de poids du grand ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité religieuse chiite d'Irak, qui a appelé le Parlement à remplacer le gouvernement de Adel Abdel Mahdi, un indépendant sans base partisane ni populaire. C'est après cet appel que le Premier ministre s'est dit prêt à quitter son poste. Pour éviter aussi que le Sud ne sombre dans le chaos, avec des combattants tribaux sortis en armes pour barrer la route aux renforts policiers.
Alors qu'Adel Abdel Mahdi a convoqué un Conseil des ministres exceptionnel ce samedi, le Parlement doit tenir une séance ce dimanche. L'opposition y appelle à un vote de défiance, tandis que les paramilitaires pro-Iran, soutiens inconditionnels jusqu'ici du Premier ministre, promettent « le changement ».