Avec notre correspondant à Erbil, Noé Pignède
Fatima Hamdou et sa famille ont fui le Kurdistan syrien il y a quatre ans. Devant leur télévision branchée sur une chaîne d’information en continu, ils s’inquiètent pour leurs proches restés au pays.
« Ceux qui sont encore à Hassaké, la ville d’où nous venons en Syrie, nous racontent que la situation est très tendue entre les différentes communautés. Daech n’est pas mort, et il y a beaucoup d’autres groupes islamistes radicaux dans la région. Nous avons peur pour eux, car nous ne savons pas ce qu’il va se passer. »
À ses côtés son ami Mahmoud Khaleel. Cet électricien de 35 ans, est très en colère contre le président Donald Trump. « Les Américains n’étaient pas venus pour nous aider, mais pour faire du commerce. Donald Trump est un homme d’affaires et pour continuer de vendre des armes à la Turquie, il est prêt à abandonner les Kurdes. »
L'ombre d'Erdogan
Bien plus que Daech, c’est l’armée de Recep Tayiip Erdogan qui effraye aujourd’hui ces Syriens. Car avec le départ des Américains, le président turc a désormais les mains libres pour attaquer les régions frontalières du Nord.
Un scénario qui rappelle à Randi Omar, l’invasion d’Afrin au printemps dernier : l’armée turque, épaulée par des milices jihadistes avait chassé la majorité kurde de la région. « Si la communauté internationale et les grandes puissances occidentales n’empêchent pas les Turcs d’entrer au Kurdistan Syrien, ça sera terrible. Ils se débarrasseront de nous jusqu’au dernier. »
Malgré le retrait américain, les gouvernements français et britannique ont réaffirmé ces derniers jours, leur volonté de rester aux côtés des Kurdes en Syrie. Une présence temporaire qui devrait calmer les élans guerriers du président Erdogan, mais que les Kurdes syriens vivent comme un sursis.
« Je n’ai plus beaucoup d’espoir »
« Le départ des États-Unis nous inquiète beaucoup, car cela va provoquer une résurgence de Daech en Syrie, s’inquiète Sengar Ahmed, un enseignant qui a fui son pays il y a quatre ans. Les cellules dormantes sont partout et les terroristes ont encore beaucoup de soutiens parmi la population ! »
Sengar Ahmed n’est guère optimiste sur ce qui va suivre dans la région. « Nos terres vont à nouveau être envahies et occupées : au sud, par le régime de Bachar el-Assad soutenu par les Iraniens, et au Nord par les Turcs. Recep Tayiip Erdogan et les groupes islamistes qu’il soutient vont attaquer les villes frontalières de Tel Abyad et Manbij et en chasser les Kurdes, comme ils l’ont fait à Afrin. »
« Nous avons été terriblement naïfs, poursuit cet enseignant. Nous pensions que la communauté internationale nous soutiendrait, que les Américains resteraient jusqu’à ce que la situation soit stabilisée. Mais les Occidentaux sont pragmatiques : Donald Trump est un homme d’affaires. Il a beaucoup plus d’intérêts économiques avec les Turcs qu’avec nous. Les Kurdes n'ont pas grand-chose à lui offrir. Je me doutais que les Américains allaient partir, mais pas si rapidement ! Je n’ai plus beaucoup d’espoir pour l’avenir du Kurdistan syrien, car je pense que les Français aussi finiront par nous abandonner. »