L'ONG Sherpha a accusé ce mardi Lafarge de ne pas collaborer avec les enquêteurs et demandé au parquet de diligenter une enquête « pour entrave à l'exercice de la justice ». William Bourdon, son président, accuse notamment l’entreprise d’avoir « organisé, selon une méthode qui fait plutôt penser à des méthodes de voyous, le nettoyage des preuves ».
Les juges d'instruction, qui pilotent cette enquête depuis juin, semblent dresser le même constat: Ils ont récemment relevé que « des éléments essentiels ne se trouvaient plus au siège lorsque la perquisition a été effectuée », d'après une source proche du dossier. « L'intégralité de la comptabilité susceptible d'impliquer la personne morale n'a pas été davantage transmise », ont-ils ajouté.
Une enquête qui décolle lentement
L’affaire Lafarge, c’est « un dossier volumineux, dont les preuves sont très solides », comme le souligne le fondateur de Sherpa. L’ONG française de défense des victimes de crimes économiques était la première à porter plainte au nom d'anciens employés syriens.
Malgré l’accumulation d’informations qui ont mené à la mise en examen pour « mise en danger de la vie d'autrui » et « financement d'une entreprise terroriste » de trois responsables du groupe, dont l'ancien PDG Bruno Lafont, vendredi 8 décembre, l’enquête a mis du temps à démarrer. Tout en rendant hommage aux trois juges d'instruction qui mènent l'enquête, William Bourdon déplore la lenteur avec laquelle l'appareil judiciaire s'est mis en marche dans ce dossier.
L’avocat, qui qualifie le scandale « d’histoire très française », y voit un effet de miroir politico-judiciaire qu’il dénonce. « Du côté de Lafarge, un groupe parmi les plus puissants de la planète, on a une attitude, un comportement, qui trahissent un très grand mépris pour l’autorité judiciaire ».
« Nous contestons fermement que la société ait cherché à restreindre de quelque manière que ce soit le droit de ses employés ou ex-employés de se défendre dans une procédure judiciaire », a déclaré en retour à l'AFP le cimentier.
Culture « judiciaire » et « politique »
William Bourdon, lui pousse pourtant plus loin son analyse. Il considère que l’affaire est révélatrice « d’une forme de culture judiciaire dans ce pays, qui est aussi une culture politique ». Même s’il salue les avancées obtenues par les juges d’instruction ces dernières décennies dans des scandales similaires, il déplore un mur de verre « seulement ébréché ».
A ses yeux, « quand il s’agit des grands groupes, il y a une forme de tétanisation, de timidité, de frilosité, voire de complaisance ». Celle-ci pourrait, dans le dossier Lafarge « suivant l’évolution de l’enquête, caractériser une forme de complicité de l’Etat ».