RFI: Olivier Da Lage, qui était ce chef religieux ?
Olivier Da Lage : Cheikh Nimr était un personnage très influent dans la communauté chiite, un opposant. Les chiites d’Arabie saoudite se sentent l’objet de discriminations de la part de la majorité sunnite depuis très longtemps et il y a eu souvent des troubles dans la région orientale de l’Arabie, où est concentré l’essentiel de cette communauté chiite qui représente un dixième de la population du royaume.
Parmi les opposants, certains étaient favorables à un dialogue avec le régime. Et Cheikh Nimr représentait plutôt ceux qui étaient intransigeants dans l’opposition. Et donc, il avait participé et encouragé au soulèvement de 2011 à l’occasion de ce qu’on a appelé les « printemps arabes » qui avaient des causes proprement saoudiennes, bien entendu.
Il a été arrêté en 2012 dans des conditions assez violentes et condamné à mort en 2014 pour sédition. C’est une condamnation particulièrement horrible, car non seulement il a été condamné à être décapité, mais son corps devait être crucifié, c’est-à-dire exposé ensuite à la vue de la population, ce qui est réservé aux cas les plus graves.
Il a été exécuté aujourd’hui, samedi 02 janvier 2016, en compagnie de 46 autres personnes, qui elles sont sunnites...
Pas toutes. Il y a trois autres chiites qui étaient également condamnés pour leur participation à des émeutes. On les accuse d’avoir lancé des cocktails Molotov. Les autres, ce sont des jihadistes d’al-Qaïda ou du groupe Etat islamique. Les exécutions, en fait, ont été réparties sur l’ensemble du territoire saoudien dans douze villes différentes, pour sans doute édifier la population avec un signal très fort, que la population saoudienne comprenne ce qui arrive à ceux qui s’engagent contre le régime.
Depuis plusieurs mois l’Arabie saoudite affiche clairement son intention de lutter contre le terrorisme, que ce soit al-Qaïda ou l’organisation Etat islamique. Ces exécutions font partie de cette stratégie ?
Bien entendu. En prenant en compte que l’Arabie saoudite a une conception extrêmement large du terrorisme, puisque l’opposition au régime est considérée comme du terrorisme. La promotion de l’athéisme est considérée comme du terrorisme et le terrorisme, bien sûr, est puni de mort.
Mais en effet, depuis les attentats d’al-Qaïda dans les années 2000, depuis la déclaration de guerre de l’Etat islamique contre les autorités saoudiennes il y a maintenant un peu plus d’un an, le régime ne peut pas faire autrement que de réagir et d’arrêter et de sanctionner les membres d’al-Qaïda.
Il y a eu également la formation de cette grande coalition anti-terroriste annoncée il y a tout juste quinze jours, avec 34 pays, tous sunnites. Certains d’ailleurs parmi eux n’étaient pas au courant qu’ils faisaient partie de cette coalition. Mais ça c’est un autre problème. Et donc, très clairement, les autorités actuelles veulent montrer leur détermination à lutter contre toute opposition, contre tout terrorisme et en amalgamant les jihadistes et les opposants d’inspiration chiite, c’est-à-dire du point de vue saoudien des opposants soutenus par l’Iran.
Alors on imagine facilement qu’il va y avoir des répercussions dans la région après ces exécutions. L’Iran a immédiatement réagi notamment
Avant d’en venir aux répercussions à l’étranger, il est très vraisemblable qu’il y aura un soulèvement dans la province orientale, où sont les chiites et d’où était originaire Cheik Nimr. Mais en effet, les pays de la région où il y a une majorité de chiites, c’est le cas de l’Irak, c’est le cas de l’Iran, c’est le cas du Bahreïn – bien que le pays soit dirigé par une monarchie sunnite – et le Liban, où les chiites ne sont pas la majorité, mais ils sont la plus forte minorité.
Tous ces pays-là ont très vivement réagi contre les exécutions. La situation était déjà extrêmement tendue dans la région, notamment en raison de la guerre au Yémen et ce n’est sans doute pas une coïncidence si aujourd’hui la trêve qui durait depuis le 14 décembre a été officiellement annoncée comme finie, à la fois par les Houthis et par la coalition saoudienne. Oui, je crois qu’on peut s’attendre à des troubles très importants dans la région dans les semaines qui viennent.
En radicalisant l'opinion chiite au Moyen-Orient, Riyad se démarque de Washington
Il est impensable que les dirigeants saoudiens n'aient pas pris en compte les conséquences politiques de ces exécutions, tant sur le plan intérieur que sur le plan régional. C'est donc que les autorités assument le regain de tension qu'elles vont provoquer, qu'elles ont déjà commencé à provoquer, à en juger par les manifestations au Bahreïn et aux réactions de colère dans le monde chiite, notamment en Iran, en Irak et au Liban.
Après l'accord du 14 juillet sur le nucléaire iranien, l'Arabie saoudite avait fait mine de se réjouir. En réalité, les dirigeants saoudiens étaient furieux contre cet accord que, tout comme les Israéliens, ils s'étaient efforcés d'empêcher, mais en vain. Puis est venu en septembre le dégel diplomatique entre la Russie et les Occidentaux sur le dossier syrien.
Occidentaux, Iraniens et Russes s'apprêtaient à un rapprochement, étape par étape. Une solution politique semblait s'esquisser, qui passait par une lutte sans merci contre les mouvements jihadistes combattant en Syrie, dont certains très proches des pays du Golfe.
En radicalisant délibérément l'opinion chiite au Moyen-Orient, polarisée entre chiites et sunnites, l'Arabie se démarque à nouveau des Américains et complique volontairement une éventuelle solution politique du conflit syrien.
→ lire aussi : En Arabie saoudite, des exécutions de masse qui aggravent les tensions confessionnelles, d'Olivier Da lage sur le site d'Orient XXI.