Avec notre correspondant à Beyrouth, Paul Khalifeh
C'est une décision inhabituelle dans un pays ouvert et libéral comme le Liban. Nader Ghazal, le maire de la ville, a pris comme prétexte le souci d'éviter toute provocation en cette période marquée par la montée de l'extrémisme à Tripoli, ville conservatrice où certains groupes extrémistes n'hésitent pas à afficher ouvertement leur soutien à al-Qaïda où à l'Etat islamique.
Il a invoqué un arrêté municipal datant de 2004, publié sur son site, qui « interdit de placarder des affiches en faveur de l'alcool et du tabac, contraires aux bonnes mœurs », ou faisant la publicité de produits israéliens ou américains inscrits sur la liste noire établie par le bureau de boycottage de la Ligue arabe. Nader Ghazal a pris sa décision à la veille du mois du jeûne chez les musulmans, ce qui explique, sans doute, la faible opposition à cette mesure. Mais lorsque la décision a été maintenue après le ramadan, les critiques ont commencé à fuser.
Vives réactions sur les réseaux sociaux
Après le retrait, samedi 9 août, de trois affiches, au prétexte que les agences publicitaires n'avaient pas demandé l'accord préalable de la mairie, une vaste campagne a été lancée sur les réseaux sociaux. De nombreux internautes ont rejeté en bloc les justifications du maire, l'accusant d'avoir cédé aux intimidations d'une minorité de religieux et de militants extrémistes, qui veulent imposer leur volonté au reste de la population. D'autant que d'importantes minorités chrétiennes et alaouites vivent depuis des siècles à Tripoli.
Des journalistes et des commentateurs ont rappelé que le frère de Nader Ghazal est un responsable de la Jamaa Islamiya, la branche libanaise des Frères musulmans. Sur Twitter, le hashtag en arabe « Prends une photo avec une bouteille de bière » a été lancé. Des comptes Facebook et Twitter, Tripoli loves beer, montre une photo d'une décharge publique avec ce commentaire : « pour la municipalité c'est plus important d'enlever les affiches de bière que de nettoyer la ville ».
Crainte d'une dérive intégriste
En dépit de l'influence des groupes extrémistes et de la décision du maire, l'alcool continue à être vendu librement à Tripoli, et de nombreux restaurants servent de la bière, y compris juste en face du siège de la municipalité.
Mais beaucoup craignent que la décision de Nader Ghazal ne soit que le début d'une dangereuse dérive islamiste. Des craintes parfaitement justifiées en raison de l'atmosphère régionale marquée par la montée des mouvements extrémistes, partisans d'une interprétation ultra-rigoriste de l'islam. Justifiées aussi par des faits. Ainsi, à la veille du ramadan, le maire de la localité d'Abra, à l'est de la ville de Saïda, a invité les habitants de sa commune à « respecter les musulmans durant le mois de jeûne et à s'abstenir de manger en public ». Cet appel de Walid Mchantaf, qui est un élu chrétien, a été vivement critiqué.