RFI : Cela fait deux ans que les soldats américains ont quitté l’Irak, laissant la main au Premier ministre Nouri al-Maliki. Ce dernier a refusé d’intégrer certaines tribus sunnites aux forces de sécurité. Est-ce ce qu’il paye aujourd’hui ?
Oui, exactement. Il paye une politique sectaire, basée exclusivement sur ses alliés chiites vers lesquels il s’est tourné et sur les Kurdes, à la marge. Et il a exclu, marginalisé, l’essentiel des élites sunnites.
Les Américains ne sont-ils pas partis trop tôt ?
Non, certainement pas. Le problème est que Maliki n’a pas seulement refusé d’intégrer certaines tribus sunnites, il a également marginalisé la population sunnite. Il y a un manque de services extrêmement important dans les zones sunnites. Le chômage s’y répand. Il y a donc une vraie demande sociale et économique, également. Et cela, Maliki aurait pu y répondre depuis 2011, mais il ne l’a pas fait.
Washington s’est dit prêt à aider Bagdad, peut-être avec des frappes aériennes. Pour l’heure, il n’est en tout cas pas question de troupes au sol. A votre avis, se dirige-t-on vers un soutien a minima, un soutien de façade ?
Un soutien politique. Le problème est politique. Les groupes de l’insurrection sont liés à des réseaux politiques au sein de l’Irak. Maliki doit d’abord rétablir l’équilibre avant de penser à des opérations extérieures. De plus, des opérations aériennes ne serviraient à rien contre des insurrections au sol.
Si les Américains se contentent du minimum, quel pays peut, selon vous, monter au créneau ? On pense inévitablement à l’Iran qui ne peut pas laisser une insurrection sunnite faire la loi à ses portes...
Bien sûr. L’Iran est déjà engagé et a déjà envoyé ces derniers jours plusieurs formateurs. L’Iran a renforcé sa présence à Bagdad et, bien sûr, ne laissera pas l’insurrection sunnite l’emporter dans ces régions. Mais il y a aussi des alliés sunnites que possède encore Maliki. Il va jouer là-dessus, sur certains groupes de l’insurrection, voire de milices tribales, pour essayer de reprendre l’avantage dans les régions qu’il perd actuellement.
Quelle forme pourrait prendre cette intervention de l’Iran ? Serait-on dans le domaine du politique ou du militaire ?
Militaire, sur le terrain. C’est-à-dire que l’Iran va essayer de renvoyer beaucoup de formateurs, de la même façon qu’il aide actuellement le régime de Damas contre l’insurrection sunnite. C’est, à peu près, les mêmes méthodes, les mêmes moyens au sol que l’on va voir : des formateurs et quelques troupes spéciales pour guider les troupes irakiennes.
Et Téhéran en a vraiment les moyens ? Ou, indirectement, l’Iran pourrait bénéficier d’un soutien américain ?
Non. Il n’y aura pas de collusion directe entre l’Iran et les Etats-Unis. Chacun va opérer par intermédiaires croisés, sur la personne de Maliki et sur le gouvernement irakien. En revanche, l’Iran a les moyens, au sol, de sécuriser les zones chiites. Et il y a les brigades sabristes qui sont entraînées en partie en Iran. L’Iran a donc les moyens d’intervenir en Irak, en tout cas dans les régions chiites autour de Bagdad.
Parallèlement, le Conseil de sécurité de l’ONU se réunit en urgence ce jeudi après-midi, à New York. Que peut-il sortir de cette réunion, selon vous ?
Premièrement, il va y avoir un bilan assez négatif sur les années Maliki. Sur la façon dont la transition politique s’est opérée en Irak depuis 2003. Le bilan de tout cela, et les solutions qui pourraient être envisagées, à mon avis, restent assez ouverts. Personne n’a encore une idée très claire de la solidité de l’armée irakienne, de la volonté de Maliki à passer des compromis avec le reste des partis politiques arabes sunnites. Il reste encore également la question des Kurdes à évoquer, les Kurdes ont profité de l’effondrement de l’armée irakienne dans le nord de l’Irak, pour prendre possession de Kirkouk et de différentes villes à population majoritairement kurde. Il y a donc de nombreux problèmes à l’équation et il reste à voir comment les différents acteurs sont prêts à négocier entre eux.