RFI : Bachar el-Assad a-t-il gagné Homs, la ville symbole du soulèvement ?
Frédéric Pichon : Homs est en effet devenu la ville symbole du soulèvement, même si c'est dans la ville de Deraa, plus au sud, que tout a commencé. Mais très vite la contestation a gagné Homs. Donc pour le régime c’est une incontestable victoire. Et je crois aussi que c’est une défaite pour tous ceux qui avaient fait une analyse dès le début, avec des «lunettes occidentales». Je crois qu’il faut bien se figurer qu’en réalité ce qui se passe en Syrie, c’est très « clausevitzien ». C'est-à-dire que le rapport entre la guerre et la politique est très ténu. On ne comprend que les rapports de force. Et de ce fait, Assad parvient à imposer à la suite d’un rapport de force une régulation politique de la chose. Elle n’est évidemment pas tout à fait satisfaisante. Mais en tout cas, c’est bien éloigné des solutions auxquelles on avait pensé, qui étaient de créer de toutes pièces une opposition située à l’étranger et dont on pensait que pourrait venir une solution politique. Donc la solution politique elle est là, et elle se fait au prix d’un rapport de force.
Ce qui est intéressant c’est que là aussi c’est un démenti pour tous ceux qui avaient tenté d’autres voies. On voit bien la présence de l’Iran, puisque l’ambassadeur d’Iran fait partie de la négociation. Et il y aura également des représentants de l’ONU à bord des véhicules qui seront escortés par la police syrienne. Il faut noter aussi la présence du Croissant Rouge syrien. Donc on a là une triangulation en quelque sorte, qui montre bien qu’on ne pouvait pas faire sans un certain nombre d’acteurs régionaux pour faire avancer les choses.
Cet accord pourrait-il être négocié dans d’autres villes où les combats sont aussi extrêmement violents ? Des villes où la situation des civils est totalement désespérée comme à Alep ?
Oui évidemment, ce genre de trêve a déjà eu lieu. Moi je l’ai souligné à plusieurs reprises. Il y a déjà eu de petits accords de quartier à quartier, entre l’armée loyaliste et certains groupes de rebelles. Depuis un an je pensais déjà qu’on allait vers une solution à la tchétchène. C’est-à-dire que le régime allait justement tendre la main vers des opposants, des rebelles, qu’il a évidemment soigneusement choisis, qui sont des Syriens essentiellement, et d’une certaine manière pour essayer de retourner une partie de la population qui s’était soulevée contre ce qui apparaît comme un danger plus grand. C’est à dire d’abord l’interférence des étrangers. Donc on a très souvent ça dans la rhétorique du régime, une dénonciation de ces combattants venus de l’étranger.
Donc il est peu probable que ce type d’accord puisse avoir lieu évidemment, avec les jihadistes du Front al-Nosra, même s’il n’y a pas que des étrangers et encore moins évidemment, avec l’Etat islamique au Levant et en Irak, qui eux sont vus comme étant des étrangers. En Tchétchénie c’est un peu ce qui s’était passé. Les Russes s’étaient appuyés sur des rebelles tchétchènes. Kadyrov est un ancien rebelle à qui il a donné le pouvoir, à condition qu’il se batte contre l’extérieur, l’étranger, évidemment dans une rhétorique très, très politique.
Quel est aujourd’hui le poids des groupes rebelles islamistes ? On sait que ça a considérablement compliqué la donne pour les rebelles syriens.
Il y a encore des gens pour nier d’ailleurs qu'ils représentent l’écrasante majorité des combattants. Et ça c’était tout à fait prévisible, étant donné d’abord, ce qui s’était passé dans d’autres pays du monde arabe et notamment je pense, l’énorme erreur qui a été celle de l’intervention de l’Otan en Libye qui a ouvert les vannes d’abord aux jihadistes du monde entier et surtout à des capacités en termes d’armement tout à fait gigantesque. Et d’autre part, par la porosité des frontières. Le régime a perdu le contrôle de ses frontières dès les débuts de l’insurrection. Et donc le poids de ces rebelles, de l’insurrection islamiste est devenue quasiment majoritaire. Et on a un certain nombre de Syriens, de rebelles syriens, qui sont en train effectivement, de se poser la question de savoir s’il faut continuer ou s’il ne vaut mieux pas. Eh bien par patriotisme peut-être. C’est si vous voulez cette fameuse rébellion introuvable que les Occidentaux ont feint de chercher pendant trois ans maintenant.
Cette trêve doit permettre l’évacuation des rebelles, mais avant tout des civils. Les Nations unies hier ont à nouveau critiqué la communauté internationale, l’accusant de ne pas tenir ses promesses vis-à-vis des réfugiés syriens. Moins de la moitié des fonds promis ont été versés. Ça aussi, c’est un point qui sert les intérêts de Bachar el-Assad ?
C’est vrai que la question syrienne est en passe de devenir une question secondaire. L’Ukraine est passée devant au niveau international. Et puis il y a une espèce de lassitude, il faut bien le dire, des donateurs et puis aussi des opinions publiques vis-à-vis de ce conflit. Et ce, d’autant plus que la situation est extrêmement complexe sur le terrain. Si la communauté internationale disposait effectivement d’interlocuteurs sur le terrain de la rébellion, ça pourrait faciliter la chose. Dans le cadre de cet accord de Homs, il est prévu des contreparties. Les contreparties c’est par exemple de laisser entrer l’aide humanitaire de l’ONU dans des villages qui sont assiégés par les rebelles. Donc effectivement, l’inaction et les millions de réfugiés syriens qui se trouvent en dehors des frontières de la Syrie, est une tâche effectivement pour la communauté internationale.