Nejad* parle d’une « double vie » lorsqu’elle évoque son existence à Berlin. Elle est arrivée un peu par hasard dans la capitale allemande un jour de 2007, à l’âge de 27 ans. Nejad a grandi dans une famille libérale où la tolérance et la critique étaient enseignées aux enfants. Très tôt, la jeune fille met cette éducation en pratique ce qui lui attire des ennuis. Elle soutient la cause des femmes comme celle des homosexuels (deux de ses frères ont choisi pour cette raison l’exil, l’un aux Pays-Bas, l’autre également à Berlin). Nejad est régulièrement arrêtée et passe à chaque fois quelques jours en prison. Lors d’un de ces séjours, elle est enceinte et perdra son enfant.
Reconnaissance et gratitude
« Je ne voulais pas partir mais ma famille pensait que je n’étais plus en sécurité. Mais je savais que je partais pour longtemps », raconte Nejad. A Berlin, elle dépose une demande d’asile qui sera reconnue deux ans plus tard : « Le 30 juin 2009, le jour de mon anniversaire, mon avocat m’a appelée pour m’annoncer la bonne nouvelle ». Certes, cette reconnaissance lui offre une sécurité juridique qui lui manquait mais la vie d’exilée n’est pas simple. A son arrivée, Nejad ne parle pas un mot d’allemand. Aujourd’hui, elle a un très bon niveau que lui ont notamment assuré ses nombreux contacts comme des études qu’elle a dû reprendre, ses diplômes iraniens de comptable n’ayant pratiquement pas été reconnus. Elle achève une formation d’éducatrice et travaille actuellement dans un jardin d’enfants franco-allemand.
« Je suis reconnaissante à l’Allemagne. J’ai obtenu ici une vie qui n’était pas possible pour moi dans mon pays », résume Nejad. Symbole de son intégration réussie, elle a demandé récemment un passeport allemand. Hasard ou non, elle a épousé à Berlin quelqu’un qui comme elle vit entre deux cultures. Son mari est germano-turc : « Mon partenaire est un grand soutien pour moi. Il me comprend et je peux parler de tout ce qui me préoccupe avec lui. Et avec ses parents, j’ai gagné une nouvelle famille ».
Retrouvailles virtuelles
Malgré tout, le mal du pays taraude toujours Nejad. Durant ses nuits mais aussi une fois réveillée. Certes, elle est en contact avec ses deux frères qui vivent en Europe et sa mère lui rend régulièrement visite : « C’est toujours un grand bonheur de la revoir. Nous pleurons en nous retrouvant à l’aéroport mais aussi lorsqu’elle repart ». La douleur la plus profonde reste la séparation d’avec son père que Nejad n’a pas revu depuis son départ d’Iran il y a sept ans. « Nous étions toujours très proches et je voudrais pouvoir lui rendre tout ce qu’il m’a donné quand j’étais plus jeune ». Les autorités allemandes sont réticentes à laisser père et mère rendre visite à leurs enfants en Europe de crainte qu’ils n’y restent. Les contacts avec son père se résument pour Nejad au téléphone ou à l'aide de Skype, même si les images d’un homme âgé et malade rendent ces retrouvailles virtuelles encore plus cruelles pour la fille exilée.
Cette vie entre deux mondes, cette existence double et les blessures intérieures qu’elles impliquent ne constituent pas seulement un fardeau lourd à porter. Le corps de Nejad se rebelle contre tant de tourments. Des paralysies momentanées des pieds ou des mains entraînent un suivi médical régulier et impliquent parfois des hospitalisations. « Les douleurs sont insupportables et c’est vraiment très difficile à vivre », explique,-t-elle. « Je ne crois pas que je reverrai un jour mon pays. Peut-être mes enfants auront cette chance ». La jeune femme rêve d’ouvrir son propre jardin d’enfants à Berlin. Elle pourra alors leur raconter les rêves qu’elle fait la nuit. « Je leur parlerai de ce qui me manque comme la mer Caspienne où je suis née, les contes des Mille et une nuits mais certainement pas les choses horribles que j’ai vécues ».
* Le prénom a été changé.
Notre dossier complet : Femmes d'ici, femmes d'ailleurs: paroles d'exilées