Liban: quatre accusés en fuite jugés pour l’assassinat de Rafic Hariri

Neuf ans après l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, s'ouvre, ce jeudi 16 janvier, à La Haye aux Pays-Bas, le procès de quatre hommes, tous absents du box des accusés. Ils seront jugés par le Tribunal spécial pour le Liban. L’ombre de la Syrie et de son allié libanais du Hezbollah plane sur ce dossier. Certaines personnalités qui ont échappé à des attentats, ou des proches de politiciens assassinés, se sont rendus à La Haye pour assister à l'ouverture du procès. C'est le cas de Saad Hariri, le fils de l'ancien Premier ministre assassiné ou du député Marwan Hamadé, qui a survécu au premier attentat politique de l'après-guerre en octobre 2004.

« Nous étions avec tous les Parlementaires réunis à la Chambre… Rafic Hariri sort, prend un café avec quelques journalistes. Une demi-heure plus tard une explosion retentit. Nous l’avons ressentie jusqu’au Parlement » : Marwan Hamadé, député et ancien ministre libanais, se souvient de ce 14 février 2005 et de l’instant ou une camionnette bourrée d’explosif a pulvérisé la voiture blindée à bord de laquelle avait pris place l’ancien Premier Ministre.

L’attentat a coûté la vie à 22 personnes. « Les Syriens sont passés à la répression majeure en éliminant leurs adversaires politiques », affirme Marwan Hamadé, lui-même blessé quelques mois plus tôt dans un autre attentat qui a couté la vie à ses gardes du corps. Au moment de sa mort, Rafic Hariri avait pris la tête d’un large mouvement politique demandant la fin de la tutelle syrienne sur le Liban. L’émotion et la colère provoquées par sa mort ont incité Damas à retirer ses troupes du pays du Cèdre dans les mois qui ont suivi.

 → A (RE)LIRE : A qui profite l’assassinat de Hariri ?

Des accusés en fuite

Neuf ans plus tard, le procès de quatre auteurs présumés de l’attentat s’ouvre devant le Tribunal Spécial pour le Liban. L’acte d’accusation parle de « sympathisants » du Hezbollah, tous en fuite. Avocat commis d’office, Me Antoine Korkmaz est l’avocat de l’un d’entre-eux, Mustafa Baddredine, 52 ans  « qui serait un haut-responsable des opérations militaires du Hezbollah », selon son avocat. Quels sont les éléments qui permettent d’accuser Baddredine et ses trois co-accusés ? « Le procureur se base sur l’analyse technique d’un réseau téléphonique fermé qui aurait servi à la préparation de l’attentat », explique Me Korkmaz qui met en doute ces éléments techniques « absolument pas fiables ». Selon l’avocat, joint par RFI, « nous n’avons pas de preuves réelles de l’implication des accusés ».

Il a donc fallu inventer un tribunal spécial pour que ce procès débute aujourd’hui. Le TSL a été créé en 2007 par le Conseil de sécurité des Nations unies. C’est la première fois qu’un tribunal international est mis en place pour juger les auteurs d’un attentat. Et il est le seul tribunal international pouvant juger des accusés par contumace, c'est-à-dire en leur absence. Un tribunal couteux avec 60 millions de dollars de budget par an. Pour William Schabas, professeur de droit International à la Middlesex University de Londres, ce tribunal incarne aussi l’un des reproches généralement adressés à la justice internationale : « deux poids, deux mesures. Cet attentat fut terrible mais ce n’est peut-être pas ce qui s’est produit de pire au Moyen-Orient ces douze dernières années. Pourtant, il n’y a pas de tribunal pour la guerre qui a eu lieu au Liban l’année suivante [en 2006 contre Israël, ndlr]. Il n’y a pas non plus de tribunal pour le conflit de 2009 à Gaza. »

Contexte tendu

Le procès s’ouvre alors que le Liban connaît depuis plusieurs mois une nouvelle série d’attentats, frappant alternativement le camp du Hezbollah (proche de la Syrie et de l’Iran) ou le bloc politique rival auquel appartenait Rafic Hariri. Le Liban était divisé il y a 9 ans, il l’est encore aujourd’hui, alors que la guerre fait rage de l’autre côté de la frontière, en Syrie où le Hezbollah combat aux côtés des troupes de Bachar el-Assad. Pour le parti chiite libanais, le procès qui s’ouvre à La Haye est le fruit d’un « complot israélo-américain ». Le procès des assassins de Rafic Hariri devrait durer des années. Et l’enquête se poursuit puisqu’aucun commanditaire présumé n’est à ce jour officiellement désigné.

→ Pour en savoir plus, consulter le site du Tribunal Spécial pour le Liban


 ■ VU DU LIBAN : Le Hezbollah remet en cause la crédibilité du TSL

Avec notre correspondant à Beyrouth, Paul Khalifeh

La population libanaise est plus préoccupée par l'état de la sécurité et les difficultés économiques du Liban que par l'ouverture du procès des assassins présumés de Rafic Hariri. Pourtant, cette affaire a rythmé la vie politique libanaise ces huit dernières années et est à l'origine des graves crises qui ont secoué le pays.

Le Hezbollah, dont cinq membres sont accusés d'implication dans l'assassinat de Rafic Hariri, a choisi de mettre en avant les aspects portant atteinte à la crédibilité du Tribunal international. Les reportages diffusés par les médias du parti ont rappelé les nombreuses fuites médiatiques qui ont émaillé le travail des enquêteurs ou l'emprisonnement pendant trois ans des quatre généraux libanais proches de la Syrie, qui ont finalement été libérés sans qu'aucune charge ne soit retenue contre eux.

La conférence de presse, mercredi, de l'avocat de 13 témoins à charge dont les noms avaient été publiés dans la presse a été largement couverte. Ces personnes s'estiment lésées par ces fuites, demandent que leurs dépositions soient retirées du dossier et exigent des dédommagements.

Paradoxalement, l'approche du début du procès a coïncidé avec la reprise des contacts entre les camps politiques adverses pour la formation d'un gouvernement d'union, après des mois de rupture.  La crainte d'une vaste déstabilisation a eu manifestement un effet positif, qui pourrait se traduire par l'annonce d'un nouveau gouvernement, où toutes les parties, y compris le Hezbollah, siègeraient.

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