RFI : La guerre en Syrie a-t-elle affaibli le Hezbollah libanais ?
David Rigoulet-Roze : Elle a considérablement nui à son image à l’intérieur du Liban. C’est vrai que, jusqu’à présent, il y avait une espèce d’équilibre qui s’était instaurée sur la scène libanaise. Mais l’activité avérée militaire du Hezbollah, aux côtés du régime de Bachar el-Assad, a forcément affecté l’image dont elle était dotée jusqu’alors.
Le Hezbollah se retrouve à la croisée de nombreux sujets d’actualité. Il y a ce procès à La Haye, il y a eu aussi les récents attentats sur le territoire libanais, avec en particulier l’ancien ministre des Finances assassiné le 27 décembre...
Il y a manifestation, une forme d’exportation de la confessionnalisation du conflit syrien. Et dans ce cadre-là, le Liban est particulièrement fragilisé dans la mesure où le Liban repose lui-même sur un système confessionnel. Donc, c’est vrai que les enjeux traversent toutes les frontières au-delà de la Syrie. Et au premier chef, au Liban même.
Avec d'ailleurs, peut-être désormais sur le territoire libanais, le Hezbollah visé par des groupes extérieurs. Certains pointent en particulier les sunnites proches d’al-Qaïda, n'est-ce pas ?
C’est extrêmement difficile de spécifier les auteurs, parce que c’est une guerre de l’ombre qui se joue en ce moment sur la scène moyen-orientale, qui est structurée par l’affrontement sunnites-chiites. C’est extrêmement difficile de rendre responsable tel ou tel groupe. Ce qui est vraisemblable, c’est que l’attentat qui a eu lieu aujourd’hui est largement imputable à la situation syrienne, notamment l’offensive militaire de Bachar el-Assad dans la région de Kalamoun, puisque le fief du Hezbollah, Hermel, est à une trentaine de kilomètres d’une autre ville, peuplée, elle, de sunnites - en l’occurrence Arsal au Liban. Donc, on voit bien que le diptyque confessionnel est activé de manière extrêmement délétère.
Y compris sur des terres, des territoires que l’on dit justement contrôlés par le Hezbollah ?
Y compris les fiefs du Hezbollah, ce qui est relativement nouveau et ce qui laisse supposer, éventuellement, des acteurs étrangers plus importants dans le cadre de l’affrontement justement confessionnel.
On le disait : sujet à la croisée des chemins, on parle de ce procès à La Haye avec des suspects, des accusés, qui sont absents. Certains pensent d’ailleurs qu’ils pourraient encore aujourd’hui se trouver sur le territoire libanais, n'est-ce pas ?
C’est possible. C’est même vraisemblable. Mais de toute façon, il est évidemment peu probable que les accusés en question se présentent et la situation dépasse largement le strict cadre du procès, qui est une pièce du puzzle d’ensemble, qui voit justement la région s’enflammer avec l’affrontement confessionnel entre chiites et sunnites. Et malheureusement, dans ce cadre-là, le Liban est une victime potentielle et avérée aujourd’hui de cette exportation du conflit.
Exportation du conflit avec des éléments libanais qui combattent sur le sol syrien. Peut-on évaluer leur nombre ?
On estimait qu’il y avait plusieurs milliers de membres du Hezbollah qui avaient participé au combat, notamment dans la prise de la ville de Qousseir, du côté syrien. Oui, il y a vraisemblablement aujourd’hui plus de miliciens chiites en Syrie que de miliciens sunnites, mais de toute façon la question dépasse là encore le seul problème libanais et le seul problème du Hezbollah. On est dans une configuration régionale extrêmement dangereuse et préoccupante.
Configuration régionale qui implique aussi un autre acteur majeur, l’Iran, n'est-ce pas ?
C’est finalement un affrontement par guerre de procuration entre l’Iran et l’Arabie saoudite qui se joue en ce moment. Et ce n’est pas un hasard si le Liban se retrouve effectivement au centre du jeu du fait du caractère confessionnel du pays.
Finalement, aujourd’hui, les attentats qui se déroulent sur le sol libanais, personne n’est vraiment capable de dire qui est derrière avec assurance...
Il y a des suppositions. En tout cas, il y a une logique qui est manifeste et qui conduit à l’accentuation de cet affrontement entre sunnites et chiites. Donc, on peut supposer que des parrains extérieurs ne sont pas étrangers à ce renforcement de l’affrontement. Mais évidemment, il est encore très difficile de cerner les responsabilités de manière explicite.
Pas forcément facile d’établir un lien entre le type d’attentats plus politiques, peut-être, qu’il y avait eu quand justement cette figure de la coalition du 14-Mars, Mohammad Chatah, avait été frappée à la fin de l’année dernière et ce matin cette explosion en pleine ville, près de la frontière syrienne ?
Oui, dans le cas de Mohammad Chatah, il fallait quand même signaler qu’il mettait en cause le rôle devenu omniprésent du Hezbollah sur la scène régionale et que ça posait un problème pour l’équilibre confessionnel du pays. Et dans le cas de l’attentat de ce matin, c’est manifestement moins lié probablement à l’ouverture du procès qu’à la proximité géographique de la frontière syrienne où la pression militaire de l’armée de Bachar el-Assad est très forte.