Avec notre envoyé spécial au Caire, Sami Boukhelifa
Après le nouvel appel des Frères musulmans à manifester, de véritables scènes de guérilla urbaine ont été vues dans les rues du Caire. Mais l'assaut de la police contre les sympathisants islamistes retranchés dans la mosquée al-Fath, place Ramsès, a pris fin après près de 24 heures de siège et plusieurs tentatives d'évacuation. L'opération, qui a duré plusieurs heures, a donc été concluante. La mosquée et la place sont désormais totalement sous le contrôle des forces de sécurité égyptiennes.
Plusieurs incursions non-violentes avaient été tentées au préalable. L'armée et la police ont même essayé de négocier. Leurs responsables ont proposé un sauf-conduit aux islamistes souhaitant se rendre. Certains ont accepté et ont été évacués sous bonne escorte. A ce moment, l'armée a été obligée de tirer en l'air pour disperser la foule et éviter qu'ils ne soient victimes de représailles.
C'est alors que la situation a dégénéré. Les Frères musulmans retranchés à l'intérieur du bâtiment se sont sentis menacés par les coups de feu. Dans un mouvement de confusion totale, des islamistes ont ouvert le feu depuis les minarets de la mosquée. Les militaires ont riposté. Puis la police a lancé l'assaut.
Selon les forces de l'ordre, la charge a été lancée de la manière la moins brutale possible, compte tenu du côté sacré des lieux. Pour autant, l'opération a été menée fermement. Il n'y a pas eu de victime et les Frères musulmans ont été évacués dans le calme.
Dans la mosquée, cinq cadavres ont été retrouvés, mais aussi beaucoup de personnes blessées la veille dans les violences de la place Ramsès. Ce samedi soir, la route menant à la place et la mosquée a été rouverte à la circulation.
En début de soirée, une immense foule était encore présente place Ramsès ; des personnes venues suivre les évènements en direct pour la plupart. Mais dans cette cohue se mêlaient des partisans et des opposants aux Frères musulmans.
Les deux camps ont parfaitement conscience que ces affrontements ne vont les conduire nulle part, mais chaque partie affirme mener un combat pour la justice.
Cependant, les nombreuses pertes subies par la confrérie ont apparemment refroidi ses partisans. Ils remettent leur mouvement de mobilisation au lendemain. Pour l'heure, ce samedi en début de soirée, ils disaient vouloir enterrer leurs morts. Selon les forces de l'ordre, plusieurs hauts responsables de la confrérie et d'autres personnes ont été arrêtés.
Au moment même de l'assaut, un conseiller du président par intérim donnait de son côté une conférence de presse. Moustafa Hégazi a implicitement confirmé que le gouvernement avait la confrérie des Frères musulmans dans le collimateur, en déclarant qu’il n’était « pas question de dissoudre la confrérie mais de la légaliser comme d’autres organisations du même type ».
Avec notre correspondant au Caire, Alexandre Buccianti
Les Frères musulmans ont un statut complexe en Egypte : il y a le parti politique Liberté et Justice, il y a aussi une ONG caritative des Frères musulmans, et il y a surtout la confrérie elle-même, avec son guide suprême et son bureau de guidance. Pour l’instant, cette dernière n’a pas de statut légal bien défini. Selon les circonstances, elle est une organisation de prédication islamique, une association caritative ou un parti politique.
En termes clairs, la confrérie devra se fondre dans le moule juridique des ONG ou des partis politiques, et donc disparaître en tant qu’entité multiforme. M. Hégazi a ajouté que les Frères musulmans avaient toujours leur place « dans le processus politique en cours » à condition de ne pas faire l’objet de poursuites criminelles.
Les Frères musulmans ne se disent pas impressionnés. Ils continuent de dénoncer la répression des protestations et l'arrestation de milliers de manifestants par les autorités. Tarek al-Morsi, porte-parole du mouvement islamiste, est convaincu que le gouvernement intérimaire ne fera pas long feu, et connaîtra la même fin que le régime Moubarak, renversé en février 2011.
« On ne donne aucune légitimité à ce régime basé sur le coup d'Etat sanglant de Fatah al-Sissi. On n'a qu'un seul président, c'est Mohamed Morsi. On a un gouvernement légitime. Il ne s'agit plus d'une histoire entre les Frères et le gouvernement, il s'agit de tout le peuple égyptien contre le coup d'Etat et ce gouvernement installé par la force et les chars.
Je crois bien, quand même, que le peuple égyptien a découvert la vérité. Les milliers et les millions de personnes qui sont sorties dans tout le pays hier, ce ne sont pas des Frères, elles ne sont pas de notre parti. C'est le peuple égyptien, qui souhaite vivre en démocratie dans un pays libre, et non gouverné par quelques militaires qui profitent de l'intérêt du pays pour leurs propres comptes à l'étranger, des milliards de dollars pour une vingtaine de généraux de l'armée qui retournent tout le pays pour leur propre intérêt. »
173 personnes sont mortes en Egypte vendredi 16 août lors de la « journée de la colère » organisée par la confrérie, en réaction au massacre de mercredi lors de la dispersion par la force de deux campements des pro-Morsi au Caire. Khaled Daoud, ex-porte-parole du Front de salut national, un groupe de 11 partis libéraux, a démissionné après le massacre de mercredi. Son groupe soutient le choix de la police et de l'armée de réprimer la protestation des Frères musulmans, mais il ne partage pas cette stratégie.
« Ce que je vois, c'est une opération de police et un retour aux méthodes qu'il y avait sous Moubarak. On a vu le Premier ministre faire une conférence de presse et dire que les forces de sécurité n'utilisent que des gaz lacrymogènes. Et ce même ministre tend à minimiser le nombre de victimes. Ensuite, petit à petit, on se rend compte que des atrocités ont été commises.
Et même si je suis persuadé que certains manifestants des Frères musulmans avaient des armes, il y a eu des pertes du côté de la police. Mais cela ne justifie absolument pas la tuerie qui a suivi, cela ne justifie pas de tuer un si grand nombre d'Egyptiens. Ce nouveau régime gagnerait plus de crédibilité s'il respectait les droits de l'homme et la dignité humaine, quelles que soient les idées politiques des manifestants ».