Quand elle évoque la Syrie, l’association Reporters sans frontières (RSF) parle de « troisième prison du monde » pour les acteurs de l’information. C’est dire si la situation est critique, notamment dans ce domaine, dans ce pays qui entame sa troisième année de guerre civile.
« Alors que le régime de Bachar Al-Assad regagne du terrain, l’installation de 34 serveurs Blue Coat […] représente une menace supplémentaire pour la circulation de l’information, ainsi que pour la sécurité des net-citoyens, des journalistes et de leurs sources », relève RSF.
Ce n’est pas la première fois que la société américaine Blue Coat est montrée du doigt par RSF. Déjà désignée « Ennemi d’Internet » en mars 2013 dans un rapport de l’organisation, Blue Coat avait été priée de s’expliquer sur la présence en Syrie de son matériel utilisé par le régime pour traquer ses opposants.
« Lorsque des produits de surveillance numérique sont vendus à un régime autoritaire par un intermédiaire sans que la société éditrice n’en soit informée, l’incapacité de celle-ci à tracer les ventes et exportations de ses propres logiciels est révélateur de l’absence de prise en compte par ces entreprises du risque d’utilisation détournée de leurs technologies et de la vulnérabilité des défenseurs des droits de l’homme », écrivait alors Reporters sans frontières.
Respect et soutien des droits de l’homme
Très rapidement, Blue Coat avait tenu à répondre à RSF : « Nous respectons et soutenons pleinement les droits de l’homme, comme la liberté d’expression. Nous ne concevons pas nos produits pour réprimer les droits humains, et ne tolérons pas leur utilisation à de telles fins. En 2013, nous menons un examen complet de nos activités, politiques et procédures pour examiner quelles mesures nous pourrions prendre pour limiter les abus de nos produits ». Le vice-président de la société de sécurité en ligne, Steve Daheb, s’était par ailleurs dit « attristé par la souffrance du peuple syrien et les pertes humaines en Syrie ».
Depuis, non seulement Blue Coat n’a pas modifié sa politique commerciale, mais elle l’a confirmée en mai 2013 en fournissant 34 nouveaux serveurs dont la présence sur le sol syrien a été révélée par Telecomix, un groupe d’activistes sur le Net. RSF a donc renouvelé ses interrogations auprès de la société américaine de surveillance du Net qui est basée dans la Silicon Valley en Californie. Si jamais Blue Coat persistait à déclarer comme elle le prétendait le 12 mars dernier, « qu’elle ne vend pas ses serveurs à la Syrie, elle se doit d’expliquer aux Syriens et à la communauté internationale la présence en Syrie de ses équipements », estime RSF.
Largement répandus dans le monde
De plus si, au terme d’une enquête sur le système d’exportation utilisé, il devait s’avérer que Blue Coat n’a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher une telle exportation de ses produits, ou si cette exportation devait avoir eu lieu au mépris des lois en vigueur, Reporters sans frontières « se réserve le droit de porter l’affaire devant l’opinion publique ou les tribunaux appropriés ».
Pour RSF, le fait que Blue Coat comme d’autres sociétés invoquent le rôle des intermédiaires pour expliquer la présence de leur matériel dans des Etats autoritaires, montre que la mise en place d’une réglementation et un contrôle de l’exportation des équipements de surveillance sont indispensables.
Les dispositifs vendus par Blue Coat sont très répandus dans le monde. Une ONG, le Citizen Lab de l’université de Toronto (Canada), a ainsi passé la Toile au crible pour les repérer. Son rapport montre qu’en Égypte, au Koweït, au Qatar, et en Arabie Saoudite, des systèmes Blue Coat sont utilisés, potentiellement à des fins de censure numérique. Le Citizen Lab a aussi observé que le Bahreïn, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, l’Irak, le Kenya, le Koweït, le Liban, la Malaisie, le Nigeria, le Qatar, la Russie, l’Arabie Saoudite, la Corée du Sud, Singapour, la Thaïlande, la Turquie, et le Venezuela ont utilisé des équipements pouvant être exploités pour mettre en place une surveillance et un fichage des internautes.