Le scénario d’une transition de pouvoir en Syrie en trois questions

Après la chute de Mouammar Kadhafi en Libye, les regards se tournent vers la Syrie, où le régime de Bachar el-Assad est en proie à une contestation massive depuis la mi-mars. Pourtant, l’Etat sécuritaire syrien ne semble absolument pas vaciller. Pour envisager une transition, voire un changement de régime, trois questions se posent : la fidélité des membres du régime à leur président, la capacité de l’opposition à se structurer de manière crédible et le rôle des pressions de la communauté internationale.

Des dignitaires du régime peuvent-ils faire défection et rejoindre l’opposition ?

Pour intégrer les rangs des hauts-fonctionnaires syriens, une sélection drastique est organisée. Il faut par exemple appartenir au parti Baas, seul parti autorisé, ou faire allégeance à Bachar el-Assad. Il y a par ailleurs, entre les cadres du régime, « une solidarité au nom du nationalisme syrien, contre la pression internationale, c’est la solidarité des grands commis de l’Etat, qui sont souvent des dynasties de cadres du régime », explique Fabrice Balanche, directeur du groupe d’études et de recherche sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo) à Lyon, joint par Rfi.fr. Conséquence, « il n’y a pas eu de défections de marque. Au sein du pouvoir syrien, tout le monde est sous la mainmise d’un système ‘sécuritocratique’, tout le monde est impliqué dans un dossier, des relations douteuses qu’on pourrait dénoncer s’ils démissionnaient », note pour sa part Salam Kawakibi, directeur de recherche à l’Initiative Arabe de Réforme.

Alors qu’en Libye, le régime de Mouammar Kadhafi avait enregistré des démissions de membres éminents ou d’anciens collaborateurs (le président du CNT, Mustapha Abdeljalil est ainsi un ancien ministre de la Justice) qui ont rallié l’opposition, ce scénario semble donc peu crédible en Syrie. Du moins, il ne se produira sans doute pas par lui-même. Mais la donne peut changer si l’opposition arrive à structurer et à tendre la main à des dignitaires du régime.

L’opposition peut-elle proposer une alternative au régime ?

L’opposition se répartit principalement entre islamistes (notamment les Frères musulmans) et laïcs, qui comprennent une branche de militants des droits de l’homme et une branche d’anciens communistes.

Les laïcs sont pacifistes et l’hypothèse de les voir prendre les armes est peu probable. Mais Haithan Manaa, opposant syrien en exil en France, président de la Commission arabe des droits humains et du Comité de coordination national des forces démocratiques, contacté par Rfi.fr, rapporte avoir « des contacts dans l’armée, avec les militaires, y compris de rang élevé, qui tous les jours disent ‘on est avec vous’. Je suis convaincu que l’armée va finir par arrêter de tirer sur la foule et changer la situation ». Des propos qui tempèrent le pessimisme ambiant quant à l’hypothèse d’un retournement de certains membres du régime contre leur chef.

Néanmoins, pour Haithan Manaa, une alliance avec l’armée nécessite que l’opposition démocratique de se réunisse et « crée un pôle démocratique clair et fort, où tous ceux qui adhèrent le fassent en respectant une charte éthique qu’il faudra écrire et qui définira ce qui est constitutionnel ». Ce scénario implique que l’opposition se structure. Ce qui n’est pas franchement le cas pour l’instant.

La réunion, qui s’est tenue à Istambul en début de semaine, a aboutit sur la création d’un Comité national. Une première avancée, même si cet organe est dépourvu de chef qui pourrait incarner une figure de l’opposition. Selon Haithan Manna, une réunion des opposants à Bachar el-Assad doit se tenir « dans une vingtaine de jours pour définir un programme démocratique ». Encore faut-il qu’elle puisse avoir lieu et elle débouche sur un projet concret.

Reste l’hypothèse d’une négociation avec le pouvoir. Pour Salam Kawakibi, « il est possible qu’au sein du pouvoir baasiste, la réflexion se développe sur l’utilité de trouver une voie politique comme issue. Les membres de la branche sécuritaire sont discrédités, puisque ce sont eux qui tirent sur les manifestants. Mais les membres de la branche politique, le vice-président, le ministre des Affaires étrangères, pourraient négocier des avancées ». Cette prise de conscience pourrait s’accélérer notamment si l’opposition parvient à s’organiser, ce qui peut inquiéter le pouvoir.

Selon Salam Kawakibi, la négociation pourrait envisager la création d’un gouvernement d’union nationale qui veillerait à prendre des mesures allant dans le sens des revendications d’origine des manifestants : développement de la liberté de la presse, baisse du contrôle des services de sécurité sur la société… Mais cette solution impliquerait que Bachar el-Assad reste au pouvoir, ce que l’opposition aura probablement du mal à tolérer. Par ailleurs, la dernière tentative de rencontre, initiée il y a quelques semaines par le pouvoir sous le nom de « dialogue national » a été un échec.

La pression internationale peut-elle avoir raison du régime ?

Sur ce point également, les avis et les hypothèses divergent. L’Occident a condamné à plusieurs reprises la répression des manifestants, les Etats-Unis et l’Union européenne allant jusqu’à demander clairement, mi-août, le départ de Bachar el-Assad. Des sanctions économiques ont été prises, comme des restrictions sur les importations de pétrole syrien.

C’est dans ce sens qu’il faut continuer selon Fabrice Lablanche : « il faudrait que les pays du Golfe et les Occidentaux fassent pression sur le régime. Les premiers pourraient par exemple casser les contrats des travailleurs syriens qui sont sur leur territoire, car ces contrats sont une source de revenus capitale pour l’économie syrienne. L’occident pourrait pour sa part appeler à un boycott total des produits syriens tels que le pétrole, les céréales ou le coton, ou faire pression sur des banques qui travaillent avec la Syrie », estime le chercheur, tout en jugeant que ce scénario semble difficilement réalisable. Notamment parce que la Syrie n’a pas subi les mêmes condamnations que la Libye, par exemple venant de la Ligue arabe, qui s’est contentée de faire part de sa « préoccupation » et d’appeler le régime de Bachar el-Assad à « cesser immédiatement les violences ». Par ailleurs, il semble évident que les monarchies du Golfe n’ont guère intérêt à favoriser une contestation qui pourrait, à terme, se développer sur leur territoire.

Pour Haithan Manaa, des sanctions seraient mêmes totalement contre-productives. « Les sanctions retombent sur le peuple. Je ne crois absolument pas à la thèse qui consiste à dire ‘il faut appauvrir le pays pour que le peuple se soulève’ », insiste l’opposant. Il semble donc que c’est dans l’organisation structurée de l’opposition que les chances de faire évoluer la situation sont les plus conséquentes.

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