Bien avisé serait l'expert qui pourrait prédire aujourd’hui avec certitude ce qu’il va advenir du seul clan familial qui a réussi à imposer dans la région une transmission dynastique du pouvoir et une dictature héréditaire. Le régime en place à Damas depuis 1970, depuis le coup d’Etat d’Hafez el-Assad, se distingue depuis plus de 40 ans par sa dureté Même si les temps changent. Aujourd'hui, comme le constate David Rigoulet-Roze, chercheur à l’IFAS, l’Institut français d’analyse stratégique, Bachar, le fils, ne gère pas les mouvements de contestations de la même façon que son père, Hafez : « Quand il y a eu l’insurrection de Hama en 1982 » des Frères Musulmans « Assad-père n’a pas fait dans le détail : il y a eu 20 mille morts et il a quasiment rasé la ville. Après la situation a été de fait neutralisée, comme stérilisée. Les choses ont changé. Même si Assad-fils était convaincu qu’il pouvait s’extraire du processus en cour dans la région et qu’il ne s’attendait visiblement pas à un mouvement de cette ampleur chez lui ».
Si Bachar el-Assad se croyait à l'abri du vent de révolte qui souffle sur le monde arabe, c’est notamment parce que son clan, issu de la minorité alaouite, s’est assuré un contrôle total des forces de sécurité du pays, une « forme d’assurance vie » pour cette branche très minoritaire du chiisme, d’après le chercheur David Rigoulet-Roze.
Un pays totalement verrouillé
Le verrouillage de la Syrie n’est pas seulement sécuritaire. Le clan Assad et leur neveu ou cousin, Rami Makhlouf, ont également fait main basse sur toute l'économie syrienne, une économie rongée par la corruption. Côté politique, le parti au pouvoir, le Baas n'est pas seulement contrôlé par la minorité alaouite. Sa prédominance sur l'ensemble de la société est même prévue « par la clause N°8 de la Constitution, qui précise que le parti Baas dirige l’Etat mais aussi la société », s'insurge l’opposant en exil Anas Alabdeh. Le président du Mouvement justice et construction du peuple syrien déplore que la Syrie soit « le seul pays arabe et peut-être le seul pays au monde qui a inscrit dans sa Constitution une clause discriminatoire. Car nous sommes dans une situation où si vous n'appartenez pas au parti Baas, vous êtes de fait exclu par la Constitution, vous ne pouvez jouer aucun rôle important que ce soit au sein de l'appareil d'Etat ou dans la société en général ».
Blackout médiatique
« Ce régime qui exclu tous ceux qui ne sont pas avec lui à 100% » impose, sans surprise une véritable chape de plomb sur l’information. Le gouvernement et le parti Baas contrôlent la plupart des médias. Toute critique de la famille Assad est totalement exclue. Les organes de presse privés autorisés n’ont pas le droit de parler de politique. Les médias étrangers peinent à se faire accréditer et les journalistes syriens pratiquent l’autocensure. Une situation guère favorable à la couverture des manifestations actuelles, comme a pu le constater Souazig Dollet, en charge du bureau Afrique du Nord et Moyen-Orient à Reporters sans frontières.
Environ 4 millions de Syriens ont accès à Internet. Sur une population de 22 millions et demi, c’est peu et c’est même l’un des taux de pénétration d’Internet le plus faible de la région. Le pouvoir n’a pas poussé le développement des nouvelles technologies. Facebook n’a d’ailleurs pas été un déclencheur de la contestation. En revanche, le réseau social permet d’organiser la suite de la mobilisation. Sur sa page, le groupe « Syria Revolution 2011 » appelait, avant même le discours de Bachar el-Assad, les contestataires à des sit-in, à partir de vendredi 1er avril, dans tout le pays, à la mémoire des personnes tuées ces derniers jours. « Par respect pour nos martyrs de Deraa et de Lattaquié, soyez prêts ô peuple en révolte. » « Nous ne cèderons pas. La victoire ou la mort », écrit le groupe sur son mur avant d’affirmer que son objectif est « la liberté en Syrie ».