En Libye, une situation toujours plus chaotique

Appels sur l’actualité se penche sur le cas du nouveau Premier ministre libyen. Nommé le 8 avril par le Conseil national général, qui agit comme un parlement, Abdallah al-Theni, a démissionné ce dimanche. Pour mémoire, le CNG a limogé l'ancien Premier ministre, Ali Zeidane, en poste depuis un an et demi, et donné à Al-Theni un mandat renouvelable toutes les deux semaines. Il avait une semaine pour former son gouvernement, mais le CNG lui a opposé une fin de non-recevoir quand il a demandé davantage de pouvoirs pour s'attaquer à la situation chaotique qui perdure en Libye depuis la chute de Mouammar Kadhafi en octobre 2011. Au début de cette semaine, aussi, devait débuter le procès d'une trentaine de dignitaires du régime Kadhafi - qui a encore été reporté...

Pour quelles raisons le Premier ministre a-t-il démissionné ?
Dans la nuit de samedi à dimanche, des hommes armés ont attaqué Abdallah al-Theni et sa famille, au niveau de leur maison, sur la route de l’aéroport. Al-Theni est proche du bloc des islamistes. Plusieurs sources locales estiment que l’attaque a été commise par des hommes opposés à ce bloc. Mais pour d’autres, il s’agirait au contraire d’un groupe plus radical qui aurait voulu voir ses hommes placés dans le nouveau gouvernement qu’Al-Theni devait former et qui cherchait à faire pression sur lui. Il faut se souvenir qu’en Libye, les attaques contre les personnalités politiques sont courantes. Le fils d’Abdallah al-Theni lui-même avait été enlevé pendant plusieurs mois alors que son père était encore ministre de la Défense. L’ancien Premier ministre, Ali Zeidane, avait lui aussi été enlevé pendant plusieurs heures dans son hôtel en plein centre de Tripoli en octobre dernier. Cette annonce survient alors que les autorités semblaient être en passe de régler le blocage des terminaux pétroliers depuis cet été - même si les exportations n’ont pas encore repris.

Vous dites que les attaques sont courantes en Libye contre les personnalités politiques et les diplomates, notamment pour exercer des pressions.
Oui. On se souvient que plusieurs membres de l’ambassade égyptienne ont été enlevés pour faire pression sur les autorités égyptiennes qui détenaient alors le chef d’une milice libyenne. Et dans la nuit de samedi à dimanche, le Premier ministre a lui aussi été victime d’une attaque suite à laquelle il a annoncé qu’il renonçait à former un nouveau gouvernement. Et ce mardi matin, c’est en plein centre de Tripoli que l’ambassadeur jordanien a été enlevé. Sa résidence est située tout à l’ouest de la ville et il est donc probable qu’il se rendait à l’ambassade de Jordanie qui se trouve près du quartier où il a été enlevé. Selon plusieurs sources sur place, cette attaque pourrait avoir un lien avec la présence de djihadistes libyens dans les prisons jordaniennes, notamment celle de Mohammed Drissi qui y est détenu depuis plusieurs années. Cela fait plusieurs semaines que la tension monte. Les familles des prisonniers estiment que les autorités de Tripoli ne font rien pour faire sortir leurs proches de prison. Des menaces avaient particulièrement été formulées contre le gouvernement irakien.

Quelles seront les prochaines étapes pour former un gouvernement ?
Pendant six mois, le parlement avait voulu se débarrasser de l’ancien Premier ministre Ali Zeidane mais n’arrivait ni à atteindre le nombre de voix nécessaires ni à se mettre d’accord sur l’identité de son remplaçant. Trouver un nouveau candidat pour remplacer Al-Theni pourrait donc prendre du temps. En attendant, Abdallah al-Theni l’a annoncé, il renonce à former un nouveau gouvernement, mais il restera Premier ministre par intérim en attendant la nomination de son successeur par le Parlement. Mais cela ne devrait pas changer la donne sur la situation en Libye. En effet, les autorités centrales ont très peu de contrôle sur l’ensemble du territoire.

Le procès d'une trentaine de dignitaires du régime Kadhafi, qui devait débuter au début de cette semaine, a encore été reporté. Quelles garanties propose la justice libyenne pour faire un procès équitable ?
Lundi, le procès a repris dans une ambiance très tendue dans l’enceinte de la Cour el Hadba, au sud de Tripoli, où sont également détenus une partie des accusés. L’audience a eu lieu sous haute sécurité. Plusieurs médias, locaux ou internationaux, ont été empêchés d’entrer pour ces mêmes raisons de sécurité, ainsi que l’organisation Human Rights Watch. Au rang des accusés : Seïf al-Islam Kadhafi, mais aussi l’ancien chef des renseignements, Abdullah Senussi, ou encore le dernier Premier ministre de Kadhafi, Baghdadi al Mahmudi. Mais Seïf al-Islam Kadhafi est toujours détenu par la ville de Zintan qui ne compte pas le transférer aux autorités centrales de Tripoli.

Certains des accusés n’étaient donc pas présents, une fois de plus, comme Seïf al-Islam, détenu à Zintan, et d’autres dans la ville de Misrata.
En effet, le trajet de leur lieu de détention jusqu’à la Cour est jugé trop risqué. La Cour a donc décidé lundi qu’elle autorisait leur future présence par conférence-vidéo, malgré les problèmes que cela peut créer, notamment en termes d’accès à leurs avocats.

La justice libyenne est-elle capable de juger ces hommes ?
La phase de pré-procès, selon le système judiciaire libyen, a été étendue à plusieurs années et, pendant cette période, les accusés n’ont pas ou peu eu accès jusqu’ici à leurs avocats. En décembre, le CGN a adopté une nouvelle loi sur la justice transitionnelle mais, selon Human Rights Watch, celle-ci n’a toujours pas été appliquée. HRW dénonce aussi la loi adoptée en 2012 qui garantit une « large immunité » pour les actes commis pour « promouvoir ou protéger la révolution de 2011 ». Une justice « sélective », dit l’organisation, car aucun membre de milice ou ancien combattant anti-Kadhafi n’a été poursuivi pour des crimes commis en 2011 - viol, détention arbitraire, torture…

Ce procès est-il encadré par des institutions internationales ?
Aucune institution internationale n’encadre le procès en cours de la trentaine de dignitaires de l’ancien régime. La justice libyenne tient à juger elle-même Seïf al-Islam Kadhafi, mais la Cour pénale internationale a jusqu’ici toujours estimé que la Libye n’était pas capable de lui garantir un procès équitable. Les organisations internationales des droits de l’homme se sont inquiétées à plusieurs reprises de ses conditions de détention, de l’accès à un avocat... Quand on sait que Seïf al-Islam est toujours détenu par la ville de Zintan, qui refuse de le remettre à Tripoli, on se demande comment les autorités centrales peuvent convaincre la CPI de leur capacité à juger Seïf al-Islam et à lui garantir un procès équitable.

La Libye fait partie de l’Union africaine. Pourtant, celle-ci n’est pas encore intervenue pour aider le pays. Quelle est exactement la position de l’UA sur la situation chaotique en Libye ?
Les travaux de l'Union africaine ont été rendus difficiles au début, suite à sa position en 2011 où elle avait tardé à reconnaître les révolutionnaires libyens. Selon son représentant spécial joint par RFI, le Tunisien Mondher Rezgui, l’UA suit avec une « profonde préoccupation l’évolution de la situation politique et sécuritaire qui prévaut en Libye ». Elle reste « engagée à soutenir, dans le respect absolu de la souveraineté nationale, les efforts déployés par le peuple et les autorités libyennes, afin de parachever la transition démocratique ». Ses principaux axes d’action en Libye sont le désarmement et la réintégration des anciens combattants mais, comme pour la plupart des organisations internationales, cette tâche est rendue difficile par le chaos ambiant et surtout par l’absence d’accord politique à ce sujet ; la gestion des frontières, sur laquelle l’UA a organisé un atelier l’année dernière ; et l’aide au dialogue et à la réconciliation nationale. Il s’agit, toujours selon son représentant spécial, d’« amener l’expérience et l’expertise africaines par lesquelles sont passés beaucoup de pays africains, pour que les Libyens puissent s’en inspirer même si chaque pays a ses spécificités, et voir quel modèle serait le plus adapté ». On pense par exemple aux modèles sud-africain, rwandais, burundais ou soudanais.

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