La situation était devenue ingérable. Vu la gravité des incidents qui opposent les Tchadiens aux milices anti-balakas, l’annonce d’Idriss Déby de retirer son contingent ne surprend pas totalement. Dernier en date, samedi dernier, quand un petit détachement de soldats tchadiens de la Misca est entré à Bangui pour une mission auprès de l’état-major de la force africaine. Immédiatement, les anti-balakas se sont levés et des accrochages ont dégénéré en affrontements meurtriers.
Ce n’est pas le premier incident, mais c’est sans doute le plus meurtrier et il traduit le degré de haine et de méfiance existant. Les anti-balakas considèrent les Tchadiens comme leurs ennemis : ceux qui ont mis la Séléka de Michel Djotodia au pouvoir et qui ont couvert et commis des exactions.
Toutefois, le contingent tchadien - ils sont environ 850 - n’est pas déployé dans la capitale mais dans les villes du Nord et le long de leur frontière. Là-bas, les populations musulmanes l’accueillent en protecteur et parfois même en libérateur. Et si, à Bangui, les chrétiens applaudissent le départ des Tchadiens, au Nord, on voit leur reflux avec beaucoup d’inquiétude. On se demande si le vide créé ne va pas laisser place aux anti-balakas, dont certaines franges prônent une forme d’épuration ethnique. Pour autant, le départ des Tchadiens de la Misca se fera, disent les autorités de N’Djamena, en concertation avec l’Union africaine. On imagine donc que des mesures seront prises pour éviter que le vide engendre du chaos.
Profonde méfiance à l’égard des forces étrangères
Parallèlement, les Européens ont décidé d’appuyer la RCA à travers l’Eufor. Mais les Centrafricains ne voient plus du même œil l’arrivée des forces étrangères - que ce soit Sangaris, la Misca, l’Onu ou l’Eufor.Paradoxalement, on peut constater, ici, dans les rues de Bangui, qu’il existe une profonde méfiance à leur égard. La période où elles étaient acclamées en libératrices pour avoir permis de mettre au pas la Séléka est bel et bien terminée, et c’est plutôt le désamour qui règne aujourd’hui. Voire même la suspicion à leur encontre.
La Misca, par exemple, n’a pas bonne presse, et à chaque incident, c’est elle que les Centrafricains montrent du doigt. Exemple : le contingent burundais qui protège le secteur du 3è arrondissement - le PK5 -, l’une des deux dernières enclaves musulmanes de Bangui. Il est littéralement détesté par les anti-balakas parce que les musulmans du PK5 sont pour la plupart des commerçants et que la Misca les protège notamment contre les pillages des bandes armées qui sévissent sous couvert parfois des milices anti balaka.
Les propos du général Mokoko, le patron de la Misca, n’ont rien arrangé. Il y a une dizaine de jours, les anti-balakasont sciemment attaqué les forces étrangères et la réaction de l’état-major a été vive. Le général Mokoko a répété ce qu’avait dit le général Soriano il y a quelques mois, à savoir que les anti-balakas devaient être désarmés. Il les a aussi qualifiés « d’ennemis ».
Les miliciens et leurs relais dans l’opinion ont sauté sur l’occasion pour relancer la méfiance d’une partie des Banguissois contre la Misca. Bien évidement au PK5, parmi la communauté musulmane, c’est tout le contraire. On entend dire que sans la Misca, la force Sangaris et l’efficacité des Burundais, les musulmans auraient déjà disparu totalement de Bangui. Chacun a donc une opinion très tranchée.
Il y a aussi les attentes très fortes des populations qui ne comprennent pas pourquoi la sécurité n’est pas rétablie à Bangui.Et à chaque fois qu’une attaque se produit comme ce fut le cas le 27 mars dans le quartier Fatima, ou quand une grenade explose, les gens se demandent pourquoi ces contingents n’ont pas encore désarmé les fauteurs de troubles. Ce que l’opinion comprend mal, c’est que la Misca et la force Sangaris manquent d’abord de moyens et surtout de moyens de police.
Lorsqu’on voit des soldats burundais patrouiller en ville avec des armes de guerre à la main, lorsqu’on les voit affronter des foules en colère, on se dit qu’ils devraient être équipés de matraques, de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc pour éviter les drames. Le risque de bavures est maximum ici à Bangui. Il s’en produit d’ailleurs. Cela ne contribue pas à rendre la Misca sympathique aux yeux de la population, d’autant que ces faits sont amplifiés voire déformés par la rumeur.
Le départ prochain des Tchadiens devrait être en partie comblé par l'arrivée de militaires européens à Bangui : une mission de 800 hommes environ qui viendra soutenir l'opération Sangaris (2000 soldats). Les militaires français, eux, sont en cours de déploiement dans l'est du pays mais aussi dans le nord, dans la région de Ndélé, avec des forces spéciales. Entrée dans sa troisième phase, elle bénéficie du renfort en effectifs décidé par le président français il y a un mois et demi.