Miklós Jancsó : le cinéaste hongrois ne fera plus de plans-séquences

Distingué en 1972 au Festival de Cannes pour Psaume rouge, le réalisateur hongrois Miklós Jancsó est décédé le 31 janvier, à Budapest, à l’âge de 92 ans. Célébré à sa mort pour avoir reçu un prix au plus grand festival de cinéma au monde, il était pourtant tombé dans l’oubli de son vivant pendant des décennies. Trois fois marié et père de quatre enfants, il nous laisse en héritage une œuvre qui regorge de l’Histoire hongroise et un style cinématographique qui lui a valu le surnom de « l’homme du plan-séquence ».

Pour le Hongrois Miklós Jancsó, l’heure de la gloire sonne en mai 1972. La même année où l’équipe de foot hongrois, tenant du titre, perd en finale des Jeux olympiques à Munich contre la Pologne. Le cinéaste emporte le Grand prix de la mise en scène au Festival de Cannes. Ce qui restera jusqu’aujourd’hui comme la plus haute distinction d’un cinéaste hongrois – à côté de István Szabó qui a reçu en 1981 l’Oscar du meilleur film étranger et le Prix du scénario à Cannes pour Méphisto et le Prix du jury au Festival de Cannes de 1985 pour Colonel Redl. Avec Psaume rouge (Még kér a nép), Jancsó entre alors dans l’histoire du cinéma. Hélas, ensuite, sa renommée ne saura pas rivaliser avec des cinéastes comme Robert Altman, Maurice Pialat ou Andreï Tarkovski dont les films ont été couronnés la même année à Cannes.

Des images extraordinairement puissantes

Le label de « Tarkovski hongrois » est revenu à un de ses compatriotes qui lui doit beaucoup pour son emploi exacerbé de l’espace et du temps, Béla Tarr, né en 1955, et Ours d’argent en 2011 pour Le Cheval de Turin. La griffe de Jancsó est décidément trop originale pour être comparée à celles d’autres maîtres. Jancsó prône un cinéma lyrique et poétique, avec des images extraordinairement puissantes qui respirent des notions héroïques, dramatiques, grandioses : des cavaliers dans la plaine, l’errance dans la forêt, des églises brûlées et des femmes suppliciées, la terreur des hommes qui alterne avec la beauté de femmes. Avec ses plans-séquences qui durent parfois plus qu’une dizaine de minutes et où la caméra tourne sur 360 degrés, il s’impose parmi les plus grands réalisateurs de tous les temps.

La consécration pour Psaume rouge marque en même temps son déclin sur la scène internationale. Le Festival de Cannes organise en 1979 encore un hommage officiel pour l’ensemble de son œuvre. En 1990, la Mostra de Venise lui attribue même un Lion d’or pour sa carrière de cinéaste. Malgré tout cela, ses œuvres sont de moins en moins vues et reconnues. Et ce n’est pas la production qui manque : parmi les 32 œuvres de sa filmographie, 10 ont été réalisées après 1989, l’année du démantèlement du rideau de fer.

La vie, l'histoire et le cinéma

Né le 21 septembre 1921 à Vác dans une famille romano-hongroise, son enfance a été marquée par l’effondrement de l’Autriche-Hongrie et par cette fin de la Première Guerre mondiale où rodait déjà l'ombre des conflits suivants. La Hongrie vivait une période d’instabilité où l’ancien souverain Charles de Habsbourg n’hésitait pas à essayer - il l'a fait à deux reprises - de reprendre le pouvoir. Émancipée de l’Autriche, mais amputée des deux tiers de son territoire, la Hongrie finit par opter pour une coalition avec l’Allemagne nazie en 1940 - pour regagner sa grandeur. C’est dans ce contexte que Miklós Jancsó s’engage dans les troupes nazies. Une histoire qu’il ressortira à l’occasion de son premier long métrage en 1958, Les cloches sont parties pour Rome.
 

Après la guerre dans laquelle la Hongrie a fini par signer l’armistice avec l’URSS en 1945, Miklós Jancsó suit d’abord des études de droit, d’ethnographie et d’histoire avant d’intégrer l’École supérieure de cinéma qu’il quitte en 1951, le diplôme dans la poche. Communiste convaincu et longtemps membre actif dans un mouvement de gauche, il aborde l’histoire révolutionnaire de la Hongrie dans beaucoup de ses films.

Dès Les Sans-Espoir (1966), qui parle de l’époque de la Révolution hongroise de 1848, il est régulièrement invité au Festival de Cannes. Rouges et blanc (1967) évoque la lutte des partisans hongrois aux côtés des bolchéviques en 1917. Silence et cri (1968) dépeint l’écrasement des communistes et de leur République des conseils en 1919. Cantate (1962) parle sous forme de métaphore de l’insurrection de Budapest en 1956, où l’armée soviétique a massacré 3 000 personnes et provoqué l’exode de 200 000 Hongrois. C’est une adaptation de la Cantata profana, du compositeur hongrois Béla Bartok, qui raconte l’histoire d’un père qui refuse de tirer sur des cerfs quand il s’aperçoit qu’il s’agit de ses fils.

Le désir palpable d’une nouvelle société

À partir de 1968, pendant que la Hongrie applique le « socialisme du goulash », qui permettait une prospérité relative, Miklós Jancsó se dirige vers le sommet de sa carrière de cinéaste avec Psaume rouge. Une mise en scène grandiose pour restituer les révoltes paysannes dans la campagne hongroise à la fin du 19e siècle. Le désir palpable d’une nouvelle société est superposé à une chorégraphie iconographique qui annonce déjà les bouleversements à venir : des travellings et 27 plans-séquences d’une originalité inouïe, l’emploi d’une nudité qui réclame liberté et égalité.

Après la chute du mur suivie de la chute de l’Union soviétique, Miklós Jancsó a vécu l’intégration de la Hongrie dans l’Union européenne en 2004, avec toutes les libertés qui vont avec. Mais son style a radicalement changé. Ses longs métrages burlesques et railleries de la politique hongroise n’intéressent plus les grands studios. L’œuvre de Miklós Jancsó restera pour toujours liée à la Hongrie soviétisée.

 

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