C’est un homme rondouillard, avec une longue barbe, des lunettes et une calvitie naissante. Le profil de Jonathan Pollard, qui aura 60 ans en 2014, n’a rien a priori de celui d’un espion entrainé et formé pour voler des informations, encore moins du profil d’un agent du Mossad. Et pourtant, il est accusé d’avoir fourni en 1984 des documents hautement sensibles à Israël.
Son histoire est digne d’un scénario de film hollywoodien. A tel point qu’elle en a inspiré plusieurs - comme Les Patriotes d’Eric Rochant. Tout débute le 4 avril 1984 à New York. Alors qu’il est invité à une soirée de la communauté juive organisée dans l’Upper East Side de Manhattan, Jonathan Pollard aborde un colonel, Aviem Sella. Ce dernier est réputé pour son travail en tant qu’officier de l’aviation israélienne et se trouve sur le territoire américain en congé sabbatique.
Durant leurs échanges, l’analyste, né à Galveston dans une famille juive de l’Etat du Texas, lui fait part de « sa ferveur sioniste » et de son poste au sein de l’ATAC, le très confidentiel Anti-Terrorist Alert Center (Centre d’alerte antiterroriste) de la marine américaine, installé à Suitland dans l’Etat du Maryland. Il expose au colonel son expertise de documents classés « secret défense ». Il s’agirait de la deuxième tentative de Jonathan Pollard d’approcher les services secrets israéliens.
En effet, voyant son potentiel d’informateur, Aviem Sella contacte le Mossad. Il parle « d’un homme au sourire timide, qui semblait mal à l'aise au milieu de cet aréopage de médecins, d'avocats et de banquiers ». Mais ses supérieurs affirment connaître l’individu. Il aurait déjà proposé ses services « à l’Institut » (Mossad). Un de leurs contacts newyorkais l’avait même décrit comme « instable et doté d’une vision irréaliste d’Israël ». Néanmoins, l’analyste de la marine américaine aurait bel et bien été recruté à ce moment-là en tant qu’espion.
Tous ces détails sont fournis par un ancien agent du Mossad, Rafi Eitan, interviewé par le journaliste britannique Thomas Gordon qui a édité ses entrevues dans un ouvrage, Histoire secrète du Mossad, de 1951 à nos jours*. Rafi Eitan a été près le sous-directeur des opérations du Mossad pendant d’un quart de siècle. Dans un entretien pour le journal New York Times, il décrit Jonathan Pollard comme « un homme d’une grande intelligence avec une mémoire phénoménale et une bonne éducation. Mais avec une personnalité extrême et instable. »
Des milliers de documents copiés
En quelques mois, J.Pollard aurait fourni plus de 1 000 documents confidentiels. Toutes les deux semaines, il aurait livré des valises pleines de copies sur « les livraisons d’armes de la Russie (URSS à l’époque, ndlr) à la Syrie et à d’autres nations arabes, (…) ainsi que des cartes satellites des arsenaux irakiens, syriens et iraniens - usines d’armes chimiques et biologiques comprises ».
Il aurait aussi donné des éléments de décryptage sur « les activités d’espionnage électronique de la NSA en Israël » (National Security Agency). Ces informations seront confirmées, plusieurs années plus tard, après la déclassifiation de documents confidentiels de la CIA datant de 1987.
Lorsqu’il est démasqué par le FBI, dix-huit mois après le début de sa collaboration avec les autorités israéliennes, il tente de se réfugier dans l’ambassade israélienne de Washington. L’accès lui est refusé. L’analyste de la Marine est arrêté devant l’immeuble diplomatique le 21 novembre 1985.
Des relations israélo-américaines tendues
Jonathan Pollard est inculpé pour « transfert d’informations classifiées à un pays allié, sans intention de nuire aux Etats-Unis ». En 1986, il plaide coupable à l’accusation d’espionnage. Il est condamné à la prison à vie en 1987. Il est détenu dans une prison dans le nord de l’Etat de Californie. C’est d’ailleurs derrière les barreaux qu’il épouse sa deuxième femme, Esther Pollard.
Celle-ci a œuvré pour sa libération à travers les médias et des mobilisations de soutien**. Esther Pollard a d’ailleurs demandé la grâce présidentielle auprès de Barack Obama, sans succès, tout comme le soldat franco-israélien Gilad Shalit qui a aussi écrit une « lettre ouverte » au président américain.
Il faut noter que, dès cette époque, les autorités américaines retiennent Jonathan Pollard, mais qu'Israël le réclame aussi. L’Etat hébreu lui accorde d’ailleurs la citoyenneté israélienne en 1995. Trois ans plus tard, en 1998, et pour la première fois, le Premier ministre d'alors, Benjamin Netanyahu, admet dans une déclaration que Pollard est un espion opérant pour les services secrets israéliens.
En septembre 2010, les autorités israéliennes auraient même fait part d'une discussion avec les Etats-Unis concernant un accord de prolongation du moratoire sur l’implantation de colonies en Cisjordanie, une condition palestinienne pour faire avancer les négociations de paix, et ce en échange de la libération de Jonathan Pollard. Un accord maintes fois proposé à Washington ces dernières années.
Le nœud du dossier Pollard semble résider autour de deux points. D’un côté, certains estiment que les faits reprochés à Pollard, en termes juridiques, ne valent qu’une peine allant de cinq à dix ans de prison, tandis que d’autres exigent la perpétuité. A cela, s’ajoute le statut des relations entre les Etats-Unis et Israël. A l’époque de l’épisode dit « d’espionnage », les deux pays étaient des alliés, et la notion d’espionnage était donc discutée. De ce fait, les documents transmis n'étaient pas qualifiés par les acteurs avec la même dangerosité pour la sécurité des deux pays. Reste une question : quels étaient les enjeux de cette affaire - et donc la teneur exacte des documents volés ? En résumé, à quoi servait Jonathan Pollard ?
* Les sources :
- Histoire secrète du Mossad de 1951 à nos jours. Edition du Nouveau Monde, coll. Points, 2006 (édition originale, 1999). Archives du journal New York Times
- Les sites internet des journaux israéliens : Haaretz, Yediot Aharonot, Jerusalempost.
** Les sites de soutiens :
- Deux pages Facebook :
- Le comité de soutien français à Jonathan Pollard
- Justice for Jonathan Pollard
- Un site internet Justice for Jonathan Pollard