Les travailleurs migrants constituent pour de nombreux pays industrialisés une main d'œuvre bon marché, souvent exploitée. Alors que la coupe du monde de football 2022 a été attribuée au Qatar, les regards se tournent vers cet émirat et les conditions de travail des migrants.
Le Qatar est peuplé à plus de 80% de migrants, venus travailler dans tous les domaines dans ses villes champignon en pleine expansion, ses tours de verre et les futurs stades. Laxmi Lota, la correspondante de RFI à Doha, a rencontré des Indiens, Bangladais, Népalais ou Sri-lankais, souvent exploités, leurs passeports confisqués par leur entreprise, en vertu du système de parrainage appelé Kafala. « J’ai demandé à mon patron mon salaire, mon billet d’avion qu’il avait promis et mon passeport, explique l'un d'eux. Mais il n’a pas voulu, il n’a rien donné. Ici, je ne gagne que 160 euros par mois ».
L'appel d'Amnesty international
Amnesty international a publié en novembre dernier un rapport sur les travailleurs migrants au Qatar. L'ONG dénonçait l'inaction des autorités. Un mois plus tard, rien n’a changé. Les autorités avaient pourtant promis d'intervenir auprès des entreprises et leurs sous-traitants pour que plus de 80 migrants non payés depuis un an, et qui souffrent de la faim, reçoivent leur salaire et récupèrent leurs passeports pour rentrer chez eux. « Environ 20 migrants arrivent toutes les heures au Qatar, déclare James Lynch, chercheur auprès d'Amnesty international à Londres. Pour travailler dans la construction non seulement des installations pour la Coupe du monde, mais plus largement pour un marché gigantesque qui équivaut à 200 milliards de dollars : routes, autoroutes, égouts, hôtels et bien sûr des stades. Donc c'est maintenant qu'il faut agir. Nous demandons deux choses au gouvernement du Qatar : d'abord qu'il applique ses lois pour protéger les travailleurs, et qu'il réforme celles qui posent un vrai problème ».
Amnesty International appelle notamment le gouvernement à supprimer le permis de sortie et le système du parrainage. « La première chose qu'il pourrait faire pour montrer sa bonne volonté, ce serait d'abolir le système des permis de sortie. Ce permis signifie qu'on ne peut pas quitter le pays sans la permission de son employeur: c'est un outil qui facilite l'exploitation des travailleurs. On souhaiterait qu'il soit aboli, ce serait déjà un premier pas vers une véritable réforme à long terme », ajoute le chercheur.
Plus de 2 000 morts en une année
Le rapporteur spécial des Nations unies sur les migrants, le Canadien François Crépeau (élu en 2011 pour 3 ans par le Conseil des droits de l’homme), s’est rendu récemment au Qatar, en Grèce et en Italie. Il constate que les migrants alimentent surtout des statistiques économiques, ou des chiffres de décès qui cette année ont atteint un taux record : au moins 2 360 sont morts en 2013 selon l'Organisation internationale pour les migrations.
Or, le migrant a surtout les mêmes droits que nous tous, insiste-t-il : « Le migrant est présenté, imaginé, conçu soit comme un facteur de développement, un intrant dans l’économie, un peu comme une machine-outil ; soit comme une menace à la société, à la santé publique, menace à la criminalité…Donc il n’est jamais présenté comme un autre être humain qui a des droits comme nous tous ».
Pourtant, souligne François Crépeau, « le migrant irrégulier a exactement les mêmes droits fondamentaux que le citoyen, sauf deux : le droit d’entrer et de rester dans le pays, et le droit de voter et d’être élu ». Il ne s’agit pas d’avoir droit à tous les services gouvernementaux, « ce n’est pas parce qu’on a droit à la santé qu’on a droit à tous les services de santé », précise le rapporteur de l’ONU.
« Il y a des conditions d’éligibilité, poursuit-il. Les services gouvernementaux peuvent être ouverts ou non aux étrangers en fonction de critères qui doivent être non discriminatoires, mais les migrants ont les mêmes droits fondamentaux que vous et moi en matière de santé, d’éducation, d’accès au travail, même s’ils sont en situation irrégulière ».
Un migrant en situation irrégulière n’a pas le droit de travailler, mais s'il travaille, « il devrait être traité comme tout travailleur : avoir un salaire normal, avoir les protections du droit du travail et du droit social, avoir la capacité avant d’être renvoyé du pays de collecter son salaire et les prestations sociales qui lui seraient dues ». C’est donc une responsabilité des employeurs. « Il faut reconnaître, confie-t-il, qu’à partir du moment où une personne travaille, même si elle est en situation irrégulière, il faut lui reconnaître le bénéfice du droit du travail ».
« Des migrants criminalisés au lieu d’être protégés »
Les autorités de chaque pays ont la responsabilité de combattre les expressions du racisme et de xénophobie, de poursuivre ceux qui se rendent coupables de violence ou de discrimination envers les migrants, et de promouvoir un discours d’ouverture à la diversité et à la tolérance. C’est l’appel que lancent en cette journée internationale des migrants les rapporteurs de l’ONU François Crépeau, son homologue à la Commission interaméricaine des droits de l’homme Felipe Gonzalez, et le chef du comité de l’ONU pour la protection des droits des migrants Abdelhamid El Jamri.
Ils appellent, notamment, à « décriminaliser » ou « dépénaliser » la migration irrégulière. « La migration irrégulière n’est pas une plaie comme les épidémies », s’insurge François Crépeau. « Ces migrants viennent parce qu’ils répondent à des besoins de notre économie que nous ne voulons pas reconnaître, ce sont des besoins de main d’œuvre non reconnus. Ils nous rendent le service de travailler dans des conditions innommables, et au lieu de les protéger, on les menace constamment de renvoi et on les accuse de voler des emplois », déclare le chercheur.
Les politiques répressives menées n’ont pour effet que de « renforcer les vrais criminels des migrations que sont les passeurs et les trafiquants », et sont une cause majeure de la « montée en puissance notamment en Europe, des partis d’extrême droite ».
Les migrants n’ont aucune voix dans le débat politique
Les migrants doivent donc se débrouiller par eux-mêmes. Mais ils doivent « avoir accès à la justice », insiste François Crépeau, « aux institutions des droits de l’homme, aux inspecteurs du travail, qui peuvent prendre des décisions en dehors de toute pression électorale ».
Car les migrants, qu’ils soient en situation régulière ou non, ont des droits fondamentaux qu’ils peuvent faire respecter. « Il y a tout un discours sur la migration irrégulière entre autres qu’il faut renverser. Il faudrait que les politiciens aient le courage d’expliquer cette situation à l’électorat. Le problème, c’est qu’ils n’y ont aucun incitatif. Dans les démocraties électorales, si vous ne votez pas, (les migrants n’ont pas le droit de vote), vous n’avez aucune voix ». Les femmes, les populations autochtones se sont battues, « les détenus, les gays et lesbiennes se battent eux aussi pour leurs droits », fait-il remarquer. Mais « les migrants ne seront jamais des citoyens, ils ne votent pas et donc ils ne comptent pas dans le débat politique ».
Appel à ratifier la Convention pour la protection des droits des migrants
Le rapporteur spécial de l'ONU appelle tous les Etats à ratifier la Convention pour la protection des droits des travailleurs migrants et leur famille. A ce jour, seuls 47 Etats l'ont fait sur 194, surtout des pays d'émigration : c'est l'un des instruments internationaux les moins ratifiés. « Cette convention ne fait qu’appliquer plus spécifiquement aux travailleurs migrants des droits qu’ils ont déjà d’après les Pactes (sur les droits civils et politiques). C’est ça le paradoxe. Mais les Etats ne veulent pas faire le geste politique de dire publiquement que les migrants en situation irrégulière ont des droits, parce qu’ils estiment que politiquement, c’est quelque chose qui pourrait leur coûter cher ». A ce jour, ni les pays européens ni les Etats-Unis ne l'ont ratifiée.