Comme prévu, le Sénat uruguayen a adopté mardi soir la loi sur « la régularisation du marché du cannabis ». Le texte qui a déjà été approuvé en juillet dernier par la Chambre des députés doit rapidement atterrir sur le bureau du président José Mujica pour qu’il y appose sa signature.
L’adoption par le Parlement uruguayen de cette loi inédite dans le monde n’était pas une surprise, la coalition de gauche au pouvoir (le « Frente amplio » ou « front large » en français) étant majoritaire dans les deux chambres.
José Mujica, un président pas comme les autres
La consommation de la marijuana est déjà légale en Uruguay. L’idée de légaliser aussi la production de la plante de cannabis et sa distribution a été avancée par le président José Mujica lui-même. Cet ancien guérilléro, torturé sous la dictature entre 1973-1985, puis élu à la tête de l’Etat en 2009 est connu pour son pragmatisme en politique. D’ailleurs pour lui, il s’agit moins de « légaliser » le marché du cannabis que de le « régulariser ». « Pour l’instant, le marché du cannabis est tenu par le crime organisé. Avec la nouvelle loi, c’est l’Etat uruguayen qui contrôlera ce marché », n’a cessé de marteler le chef de l’Etat ces dernières semaines pour obtenir le soutien de ces concitoyens.
Nouvelle forme de lutte contre le narcotrafic
La lutte contre le narcotrafic coûte en effet chaque année quelque 60 millions d’euros à l’Etat uruguayen. Comme d’autres responsables en Amérique latine, José Mujica estime que les mesures purement répressives contre ce fléau n’ont pas porté leurs fruits. Avec l’adoption de la nouvelle loi sur la régularisation du marché du cannabis, l’objectif du gouvernement est clair par sa mainmise sur la culture et la vente de ce produit psychotrope, il compte éloigner les consommateurs des dealers et des drogues dures et surtout priver les narcotrafiquants d’une importante source de revenus.
L’application de la loi : qui cultive quoi ?
Dans la réalité, la loi va se traduire par trois possibilités d’accès au cannabis : la culture de particuliers, la culture dans des clubs de consommateurs et la vente en pharmacie. Les pharmacies recevront le cannabis de la production contrôlée par l’Etat. Pour couvrir les besoins des 3,2 millions d’Uruguayens, le gouvernement envisage d’autoriser la culture de 20 hectares de cannabis. Plusieurs entreprises uruguayennes, mais aussi étrangères se sont déjà portées candidates pour cultiver la plante. Afin que le gouvernement puisse contrôler ce marché, tous les consommateurs et tous les producteurs doivent être Uruguayens, majeurs, et s’inscrire sur des registres officiels.
Si la loi est approuvée et ratifiée, son application ne se fera pas pour autant dans l’immédiat. Les décrets nécessaires ne seront pas prêts avant avril 2014, a fait savoir l’exécutif. C’est seulement à partir ce moment-là que pourront commencer la culture et l’enregistrement des usagers et cultivateurs.
En Uruguay, l’opinion publique défavorable
Si les consommateurs habituels de cannabis saluent la nouvelle loi, une grande majorité des Uruguayens y est opposée. Malgré les spots de sensibilisation qui expliquent la démarche du gouvernement tout en mettant en garde contre les abus de cannabis, 61% de la population se disent en désaccord.
En effet, pendant des semaines et des mois de débats publics, nombreux étaient les détracteurs de la loi à avoir alerté l’opinion publique sur les risques de la nouvelle législation. Les psychiatres prédisent une augmentation des maladies mentales. Les pharmaciens pensent que vendre du cannabis en même temps que des médicaments va ternir leur réputation. Les associations de professeurs mettent en garde contre l’impact négatif reconnu de la consommation de cannabis sur la capacité des élèves à se concentrer en cours et donc à apprendre. De son côté, l’opposition politique dit craindre une vague de « touristes cannabiques ».
Même s’il est convaincu du bien-fondé de cette loi, le président José Mujica a tenu à rassurer ses concitoyens : si le texte ne produit pas les résultats espérés, il se dit prêt à revenir dessus.
Répercussions potentielles sur d’autres pays latino-américains ?
La loi sur la régularisation du marché du cannabis n’est pas seulement controversée en Uruguay, mais aussi au niveau international. L’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) se dit ainsi préoccupé par les répercussions du projet uruguayen sur la santé publique et les violations potentielles des traités internationaux ratifiés par Montevideo.
D’autre part, plusieurs experts soulignent qu’en Uruguay la criminalité liée au narcotrafic n’est pas un problème majeur, contrairement à d’autres pays latino-américains, et que par conséquent l’expérimentation menée par José Mujica ne serait pas transposable à des pays tiers. La Colombie et le Mexique, deux Etats particulièrement exposés aux ravages du trafic de drogues, ne veulent d’ailleurs pas entendre parler de l’initiative uruguayenne.